Le harcèlement, futur nouveau venu dans le Code pénal?
La commission juridique du Conseil national débat de l’introduction du «stalking» comme nouvelle infraction pénale. Cette proposition rallie une majorité de parlementaires. L’UDC en revanche estime que le droit est suffisamment bien fourni
XDans le Chablais vaudois, un long conflit entre un couple et leur voisin – qui aurait pour racine des avances éconduites – fait écho aux débats qui se cristallisent en ce moment au sein de la commission juridique du Conseil national (CAJ). Celle-ci se penche sur un nouvel article de loi prévoyant de faire du harcèlement obsessionnel, le stalking, un délit à part entière. Car à l’heure actuelle, le droit suisse ne punit pas le harcèlement en tant que tel, mais se base sur des dispositions connexes – comme la contrainte ou la menace – souvent invoquées lors d’affaires mettant en cause des comportements lourds et insistants entre individus.
C’est ce qu’illustre l’affaire pendante dans le canton de Vaud: coups de klaxon, espionnage, doigts d’honneur, courriel anonyme d’insultes et propos diffamants, un couple dit vivre un enfer depuis 2019 et saisit la justice pour dénoncer leur voisin «harceleur». Dans un premier jugement rendu en 2020, ce dernier est condamné à une peine pécuniaire pour dommages à la propriété et menaces. «Nous n’avions pas réussi à convaincre le tribunal que la contrainte par stalking était réalisée», explique Me Jessica Jaccoud, avocate des plaignants et par ailleurs membre socialiste de la CAJ. Un deuxième procès est alors entrepris, retraçant le conflit sur une plus longue durée, et conduit finalement à une condamnation plus sévère qui retient cette fois-ci la contrainte, une condamnation qui fait aujourd’hui l’objet d’un appel de la défense.
Combler un vide
A Berne, on juge la situation juridique peu satisfaisante. L’absence du harcèlement au chapitre des infractions pénales, ou plutôt son éventuelle introduction, est débattue. Sur l’ensemble des partis, seule l’UDC affiche un certain scepticisme. Pour la droite conservatrice, un nouvel article pourrait s’avérer inutile ou trop restrictif, et entraînerait des problèmes de délimitation avec d’autres normes. Le texte proposé – soumis à l’initiative de la conseillère nationale verte Sibel Arslan – vise à punir «celui qui, par une menace grave ou un harcèlement continuel, aura alarmé ou effrayé une personne», et à combler ainsi une lacune juridique. «La contrainte n’est pas une infraction adaptée dans ce genre de situation, car elle est relativement lourde et nécessite des conditions plus difficiles à remplir. Il faut qu’un comportement soit vraiment exagéré pour que, partant de ce qu’on appelle communément le harcèlement, la contrainte soit retenue», détaille l’avocat et conseiller national Vincent Maitre (Le Centre), président de la CAJ.
Pour les partisans de son introduction, l’arsenal juridique actuel n’a pas assez d’effet préventif et les condamnations arrivent bien souvent trop tard. L’entrée du harcèlement dans le Code pénal permettrait aux juges d’assimiler de nombreux actes qui paraissent individuellement anodins au harcèlement et leur donnerait la possibilité de condamner leurs auteurs. «La particularité du stalking, c’est que chaque fait pris individuellement ne relève pas en soi d’une infraction. C’est le caractère répété de ces faits, pris dans leur ensemble, dans un tout, qui crée le harcèlement», commente Jessica Jaccoud. Au sein de la CAJ, les discussions tournent autour de la formulation et du degré de détail à retenir. «Il faudrait éviter qu’une éventuelle introduction n’amène à des dépôts de plainte en cascade pour de «simples» regards insistants», évoque Vincent Maitre, ajoutant qu’il est encore nécessaire de déterminer si cette infraction pourrait être poursuivie d’office ou non.
Les statistiques de la ville de Berne jettent une lumière crue sur le vide juridique actuel. Sur les 120 cas de stalking recensés en 2022 par les services de la municipalité, 85% concernaient des femmes. Une bonne moitié des harceleurs étaient des ex-partenaires ou d’anciennes connaissances intimes, et, toujours selon les chiffres rapportés par le Tages-Anzeiger, dans plus de la moitié des cas les victimes n’ont pas pu porter plainte, les harceleurs n’ayant commis aucun acte punissable au regard du droit. «Il y a effectivement de quoi se pencher sur la question, concède l’UDC et membre de la CAJ Manfred Bühler, mais il ne faudrait pas rendre tout comportement répréhensible.»
Une prise d’otages évitée?
Les débats entourant l’intégration du harcèlement dans le Code pénal résonnent particulièrement après la tragique prise d’otages qu’a connue le Nord vaudois. Se basant sur plusieurs sources et témoignages, la RTS révélait que l’assaillant épiait depuis longtemps une collaboratrice de la caserne des Rochat (VD), où il avait été placé durant quelques semaines peu après son arrivée en Suisse. Le requérant – qui réclamait avec insistance de la revoir lors de son acte – avait entrepris des contacts répétés sur les réseaux sociaux auprès de cette collaboratrice, avant de faire régulièrement le pied de grue devant son lieu de travail.
Après plusieurs interventions des forces de l’ordre pour éloigner l’individu, la collaboratrice du SEM décidait de déposer une plainte pénale. Celle-ci ne sera pourtant jamais enregistrée, la police vaudoise lui signalant avant son rendez-vous «qu’aucun article du Code pénal ne dénon[çait] le harcèlement dont elle a été victime». Pour Jessica Jaccoud, «on voit bien que la victime n’a pas réussi à se faire entendre des autorités et de la police. Sans doute que les faits repris dans la presse rentreraient dans le champ d’application de la nouvelle norme.»
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