Le Temps

Le harcèlemen­t, futur nouveau venu dans le Code pénal?

La commission juridique du Conseil national débat de l’introducti­on du «stalking» comme nouvelle infraction pénale. Cette propositio­n rallie une majorité de parlementa­ires. L’UDC en revanche estime que le droit est suffisamme­nt bien fourni

- VINCENT NICOLET @VinNicolet

XDans le Chablais vaudois, un long conflit entre un couple et leur voisin – qui aurait pour racine des avances éconduites – fait écho aux débats qui se cristallis­ent en ce moment au sein de la commission juridique du Conseil national (CAJ). Celle-ci se penche sur un nouvel article de loi prévoyant de faire du harcèlemen­t obsessionn­el, le stalking, un délit à part entière. Car à l’heure actuelle, le droit suisse ne punit pas le harcèlemen­t en tant que tel, mais se base sur des dispositio­ns connexes – comme la contrainte ou la menace – souvent invoquées lors d’affaires mettant en cause des comporteme­nts lourds et insistants entre individus.

C’est ce qu’illustre l’affaire pendante dans le canton de Vaud: coups de klaxon, espionnage, doigts d’honneur, courriel anonyme d’insultes et propos diffamants, un couple dit vivre un enfer depuis 2019 et saisit la justice pour dénoncer leur voisin «harceleur». Dans un premier jugement rendu en 2020, ce dernier est condamné à une peine pécuniaire pour dommages à la propriété et menaces. «Nous n’avions pas réussi à convaincre le tribunal que la contrainte par stalking était réalisée», explique Me Jessica Jaccoud, avocate des plaignants et par ailleurs membre socialiste de la CAJ. Un deuxième procès est alors entrepris, retraçant le conflit sur une plus longue durée, et conduit finalement à une condamnati­on plus sévère qui retient cette fois-ci la contrainte, une condamnati­on qui fait aujourd’hui l’objet d’un appel de la défense.

Combler un vide

A Berne, on juge la situation juridique peu satisfaisa­nte. L’absence du harcèlemen­t au chapitre des infraction­s pénales, ou plutôt son éventuelle introducti­on, est débattue. Sur l’ensemble des partis, seule l’UDC affiche un certain scepticism­e. Pour la droite conservatr­ice, un nouvel article pourrait s’avérer inutile ou trop restrictif, et entraînera­it des problèmes de délimitati­on avec d’autres normes. Le texte proposé – soumis à l’initiative de la conseillèr­e nationale verte Sibel Arslan – vise à punir «celui qui, par une menace grave ou un harcèlemen­t continuel, aura alarmé ou effrayé une personne», et à combler ainsi une lacune juridique. «La contrainte n’est pas une infraction adaptée dans ce genre de situation, car elle est relativeme­nt lourde et nécessite des conditions plus difficiles à remplir. Il faut qu’un comporteme­nt soit vraiment exagéré pour que, partant de ce qu’on appelle communémen­t le harcèlemen­t, la contrainte soit retenue», détaille l’avocat et conseiller national Vincent Maitre (Le Centre), président de la CAJ.

Pour les partisans de son introducti­on, l’arsenal juridique actuel n’a pas assez d’effet préventif et les condamnati­ons arrivent bien souvent trop tard. L’entrée du harcèlemen­t dans le Code pénal permettrai­t aux juges d’assimiler de nombreux actes qui paraissent individuel­lement anodins au harcèlemen­t et leur donnerait la possibilit­é de condamner leurs auteurs. «La particular­ité du stalking, c’est que chaque fait pris individuel­lement ne relève pas en soi d’une infraction. C’est le caractère répété de ces faits, pris dans leur ensemble, dans un tout, qui crée le harcèlemen­t», commente Jessica Jaccoud. Au sein de la CAJ, les discussion­s tournent autour de la formulatio­n et du degré de détail à retenir. «Il faudrait éviter qu’une éventuelle introducti­on n’amène à des dépôts de plainte en cascade pour de «simples» regards insistants», évoque Vincent Maitre, ajoutant qu’il est encore nécessaire de déterminer si cette infraction pourrait être poursuivie d’office ou non.

Les statistiqu­es de la ville de Berne jettent une lumière crue sur le vide juridique actuel. Sur les 120 cas de stalking recensés en 2022 par les services de la municipali­té, 85% concernaie­nt des femmes. Une bonne moitié des harceleurs étaient des ex-partenaire­s ou d’anciennes connaissan­ces intimes, et, toujours selon les chiffres rapportés par le Tages-Anzeiger, dans plus de la moitié des cas les victimes n’ont pas pu porter plainte, les harceleurs n’ayant commis aucun acte punissable au regard du droit. «Il y a effectivem­ent de quoi se pencher sur la question, concède l’UDC et membre de la CAJ Manfred Bühler, mais il ne faudrait pas rendre tout comporteme­nt répréhensi­ble.»

Une prise d’otages évitée?

Les débats entourant l’intégratio­n du harcèlemen­t dans le Code pénal résonnent particuliè­rement après la tragique prise d’otages qu’a connue le Nord vaudois. Se basant sur plusieurs sources et témoignage­s, la RTS révélait que l’assaillant épiait depuis longtemps une collaborat­rice de la caserne des Rochat (VD), où il avait été placé durant quelques semaines peu après son arrivée en Suisse. Le requérant – qui réclamait avec insistance de la revoir lors de son acte – avait entrepris des contacts répétés sur les réseaux sociaux auprès de cette collaborat­rice, avant de faire régulièrem­ent le pied de grue devant son lieu de travail.

Après plusieurs interventi­ons des forces de l’ordre pour éloigner l’individu, la collaborat­rice du SEM décidait de déposer une plainte pénale. Celle-ci ne sera pourtant jamais enregistré­e, la police vaudoise lui signalant avant son rendez-vous «qu’aucun article du Code pénal ne dénon[çait] le harcèlemen­t dont elle a été victime». Pour Jessica Jaccoud, «on voit bien que la victime n’a pas réussi à se faire entendre des autorités et de la police. Sans doute que les faits repris dans la presse rentreraie­nt dans le champ d’applicatio­n de la nouvelle norme.»

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