Berne se hâte lentement vers la réglementation des plateformes
Le projet de consultation prévu pour fin mars ne verra pas le jour avant l’automne, a appris «Le Temps». Il faudra au moins trois ans avant qu’une loi ne soit appliquée, analyse un ancien conseiller national
XLa réglementation des grandes plateformes comme Google, Facebook, TikTok ou encore YouTube prend du retard en Suisse. Le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) devait livrer fin mars un projet de consultation visant à imposer des règles à ces acteurs transnationaux. Interrogé par LeTemps sur l’état d’avancement des travaux, le DETEC a indiqué que le projet n’aboutirait pas avant cet automne. Les travaux ont été retardés par des complications juridiques portant notamment sur la définition des plateformes dans la loi, ou encore l’obligation de mettre en place un bureau d’enregistrement des plaintes en interne.
La Suisse est encore loin de se doter d’une législation, une situation qui tranche avec l’Union européenne et son règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), entré en application le 17 février. Le débat autour d’une réglementation des grandes plateformes en Suisse a pourtant commencé il y a déjà plusieurs années. L’ancien conseiller national Jean Christophe Schwaab (PS/VD) avait déposé en 2016 une motion demandant au Conseil fédéral de légiférer pour imposer à ces acteurs transnationaux la présence d’un représentant sur le territoire helvétique.
Des références aux cadres européens
Contacté par Le Temps, Jean Christophe Schwaab rappelle pourquoi il avait déposé cette motion: «L’absence d’un point de contact en mesure de collaborer avec la justice suisse a pour effet de limiter les possibilités d’entraide judiciaire dans des affaires pénales.» Selon l’ancien élu, certaines plateformes ne collaborent pas volontiers avec les autorités de poursuites. «Lorsqu’elles ne sont pas présentes sur le territoire helvétique, elles s’appuient sur les lois de leur pays d’origine, et certains délits poursuivis chez nous n’existent pas pour eux», relève le Vaudois.
Depuis cette motion, les autorités se sont longuement penchées sur la question de la réglementation des plateformes. L’Office fédéral de la communication (OFCOM) a publié en novembre 2021 un rapport sur le sujet, lequel a incité le Conseil fédéral à demander au DETEC de produire une note de discussion sur l’opportunité de légiférer dans ce domaine. C’est ce document qui a incité le gouvernement à aller de l’avant, en demandant au DETEC, soutenu par l’Office fédéral de la justice (OFJ), d’élaborer un projet de consultation.
La suite du processus est encore longue avant d’aboutir à une réglementation effective. Selon Jean Christophe Schwaab, rompu à la mécanique fédérale, il faudra compter au moins trois ans avant d’envisager une entrée en vigueur d’une loi. «Le Conseil fédéral peut toutefois abandonner le projet à l’issue de la consultation», précise l’ancien conseiller national.
L’exécutif entend vraisemblablement s’inspirer du cadre réglementaire européen. C’est ce qui ressort d’une réponse donnée récemment à une interpellation du conseiller national Jean Tschopp (PS/ VD). Le gouvernement précise que les futures dispositions, en cours d’élaboration, «devraient se référer, là où cela s’avère pertinent, au règlement européen sur les services numériques». En l’occurrence, l’élu vaudois l’interrogeait sur les garanties imposées par la Suisse aux grandes plateformes lors d’élections et votations.
Un retard «très fâcheux»
«Je ne suis que partiellement satisfait des éléments apportés par le Conseil fédéral et je prévois d’autres interventions sur le sujet car l’absence d’échéancier dans la réglementation des plateformes est un problème», souligne Jean Tschopp, contacté par Le Temps. Jacqueline de Quattro (PLR/ VD), qui a cosigné l’interpellation de son collègue socialiste, indique pour sa part «comprendre le retard dû aux nombreuses pesées d’intérêt» auxquelles sont confrontées les autorités, mais souligne que cela est «très fâcheux». «Nous devons mettre le plus vite possible un terme aux zones de non-droit et aux abus sur les réseaux sociaux, ajoute la conseillère nationale. Ces plateformes jouent un rôle clé dans le façonnement des opinions.»
Cela ne sera pas la première fois que la Suisse s’inspire d’une réglementation européenne avec plusieurs années de retard. La nouvelle loi fédérale sur la protection des données, entrée en vigueur en septembre 2023, reprend les grands principes du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), appliqué depuis… 2018.
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