Jan Assmann, une vie au service de l’égyptologie
Décédé le 19 février à Constance à l’âge de 85 ans, le professeur allemand s’était fait un nom avec ses travaux sur la mémoire de l’Egypte dans la culture européenne
Il est rare qu’un égyptologue acquiert une notoriété qui dépasse largement les représentants de sa discipline, surtout s’il ne cède pas à la tentation de l’actualisation ésotérique ou de la biographie romancée. Ce fut pourtant le cas de Jan Assmann, comme en témoigne le Prix européen de l’essai qui lui a été décerné en 2007 à Lausanne pour l’ensemble de son oeuvre. Cette célébrité, l’Allemand la devait à la manière dont il avait élargi le champ de l’égyptologie. Outre des ouvrages classiques consacrés aux conceptions égyptiennes en matière de justice, à l’interprétation que les Egyptiens donnèrent de leur propre histoire avec ses ruptures et ses réorganisations ou aux conceptions égyptiennes de la mort et de l’immortalité, il s’est intéressé à la mémoire de l’Egypte dans la culture européenne, des Grecs anciens aux Lumières, sans oublier la tradition biblique de l’Exode.
La notion de mémoire culturelle, qu’il a développée avec son épouse, l’angliciste Aleida Assmann, propose une matrice pour l’analyse des processus et des structures dans lesquels se construit l’identité des groupes sociaux et des nations.
Mais pour Assmann, la radicalisation religieuse n’est pas la seule forme que peut prendre le monothéisme. Contre cette propension à l’exclusivisme, il a toujours plaidé pour une religion de l’humanité dont il trouvait les protagonistes dans des figures comme le savant juif des Lumières allemandes Moses Mendelssohn (le grand-père du compositeur) ou son ami, l’écrivain et polémiste Gotthold Ephraïm Lessing.
Enfant de Lubeck, Assmann était un admirateur et un profond connaisseur du grand écrivain de la ville hanséatique, Thomas Mann (lui-même fasciné par l’Egypte comme le montre sa tétralogie romanesque Joseph et ses frères), dont il a été l’un des maîtres d’oeuvre de l’édition commentée de cette oeuvre centrale de la littérature du XXe siècle. Gymnasien, il songeait à devenir compositeur. Craignant de ne pas avoir le talent nécessaire, il s’est tourné vers l’égyptologie. Mais l’amour de la musique continuait à l’habiter. Claveciniste à ses heures, il a consacré des monographies à LaFlûte enchantée,à Israël en Egypte de Händel et à la Missa solemnis de Beethoven. Après une longue maladie, il est décédé dans la nuit du 19 au 20 février. Avec lui disparaît un des érudits les plus fascinants de ces dernières décennies, mais aussi un homme d’une extrême gentillesse et délicatesse.
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