Le Temps

A Vevey, des femmes en colère tuent et se libèrent

Dans «Médée superstar», Tamara Fischer raconte trois vengeances féminines entre paillettes, flingue et guitare électrique. Un spectacle qui frappe et fait du bien

- MARIE-PIERRE GENECAND «Médée Superstar»,

Il y a celle qui fracasse la face de son voisin de train, parce que ledit voisin s’est caressé les parties pendant tout le trajet, jambes écartées, en prenant bien soin de la coller. Il y a celle qui décime les potes de son petit ami, car ledit petit ami l’a jetée après l’avoir largement utilisée et humiliée.

Enfin, il y a celle qui écrase son mentor dans un parking, parce que ledit mentor lui a vendu du rêve avant de l’enfermer dans une cage tout sauf dorée.

Dans Médée superstar, projet qui a gagné le Prix Premio 2023 et qui est à voir à l’Oriental-Vevey jusqu’à dimanche avant Berne, Lausanne et Genève, Tamara Fischer interroge la violence féminine. Ou plutôt la vengeance féminine, car, chaque fois, la criminelle a dégusté avant de frapper, sur le modèle de l’antique Médée, abandonnée par Jason alors qu’elle l’a pourtant hissé au sommet.

Giulia Belet, une révélation

La metteuse en scène, qui a grandi au Théâtre du Loup, choisit le mode aigredoux pour évoquer ce sujet. A travers trois monologues commandés à Judith Bordas, Béatrice Bienville et Valérie Poirier, autrices habiles dans l’art de dégainer, Tamara Fischer dirige Coralie Vollichard, Giulia Belet et Clémence Mermet dans un spectacle pailleté, sorte de show télé ou cabaret rock, qui fait à la fois rire et grincer.

Giulia Belet. On ne connaissai­t pas cette comédienne diplômée de l’Ecole des Teintureri­es, à Lausanne, et c’est une révélation. De l’ordre de celle qu’on a eue face à Antoine Courvoisie­r en 2015. Une sorte d’évidence théâtrale, une présence qui subjugue, un naturel déconcerta­nt. Dans Médée-Dalida, de Béatrice Bienville, Giulia Belet compose avec une formidable candeur une femme de rien, mal mariée et déjà divorcée, qui se révèle au contact de Jason, le jeune externe de seconde année rayonnant dans l’hôpital qu’elle nettoie, ombre parmi les ombres.

Parce qu’un soir elle l’aide à sauver une situation critique, la narratrice suscite l’attention du futur médecin et devient sa proie. Mais elle ne le sait pas. Amoureuse transie, elle entretient financière­ment le jeune étudiant, paie les consommati­ons de ses amis, lui fait répéter ses leçons.

Bref, devient la maman de son amant qu’elle adule sans modération. Celle qui aime Dalida (et la chante magnifique­ment du bout du coeur) vit sa meilleure vie jusqu’au moment où elle découvre la trahison. Non seulement elle n’est qu’une parmi d’autres dans le cheptel de Jason, mais surtout elle fait office d’objet de moqueries auprès de sa bande d’amis. C’est la déflagrati­on…

Ce moment de rupture, les trois monologues le fomentent à petit feu comme un graal qui, une fois atteint, marque un point de non-retour et célèbre la lucidité. Dans Les Biches, de Valérie Poirier, c’est le sourire de Miss Tourismus (Clémence Mermet) qui tourne en rictus et annonce que la potiche va virer.

Pour la jeune femme du train (Coralie Vollichard), enfermée Dans un autre monde de Judith Bordas, ce sont mille pattes d’araignée qui prolifèren­t dans son corps et exigent d’être libérées. A chaque fois que le masque tombe, le public de l’Oriental manifeste une onde d’acquiescem­ent et de solidarité.

Retrouver l’animal en soi et défendre son territoire

C’est que, comme l’observe avec finesse Judith Bordas, les femmes ont un magnifique pouvoir: l’empathie. «Ouais, on s’est bien foutu de notre gueule. L’empathie, c’est immense, c’est énorme. Avec l’empathie vous déplacez des montagnes. Enfin les autres déplacent des montagnes. Vous, vous êtes empathique», balance Coralie Vollichard dans sa veste léopard. Retrouver l’animal en soi et défendre son territoire, tel est le fil rouge de ces monologues qui luttent contre la soumission polie et la vénération chez les femmes du «petit» et du «peu», transmises de génération en génération. La musique rock soutient la révolte. Au clavier, à la guitare et à la basse, les trois drôles de dames lâchent leur rage et montent le son.

Les interprète­s sont plus crédibles en comédienne­s qu’en musicienne­s, mais ce cabaret rock, sous les ors d’un plateau télé, a l’avantage de dédramatis­er la situation. Et, avec cette révolution en chansons, on retrouve bien la patte du Théâtre du Loup au sein duquel Tamara Fischer a appris le métier. Un éclat de rire, un riff, une bombe. Le cocktail est parfait.

Oriental-Vevey, jusqu’au 25 février. Du 21 au 23 mars, Théâtre Schlachtha­us de Berne; La Grange de l’Unil, Lausanne, les 25 et 26 mai; Le Théâtre du Loup, Genève, du 25 au 29 septembre.

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