L’Europe au défi d’une guerre qui s’éternise
Après deux ans de combats à grande échelle, le front s’est presque figé. Les forces russes gardent cependant l’initiative et mettent en difficulté l’armée de Kiev
Voici deux ans que Vladimir Poutine cherche à envahir l’Ukraine. Des milliers de morts et de blessés plus tard, une évidence s’impose: la guerre va durer. D’une part, en raison d’une pénurie de munitions, du manque d’hommes et d’erreurs stratégiques, la contre-offensive printanière n’a pas apporté à Kiev les gains espérés. D’autre part, si les forces russes ont gagné du terrain par endroits, comme dans la très symbolique Avdiivka, Vladimir Poutine ne peut se vanter de victoires décisives. Et pour l’instant, la diplomatie n’a apporté aucune solution probante. Alors certes, Moscou et Kiev ont nommé d’autres chefs à la tête de leurs armées. Mais rien ne garantit que les nouveaux venus parviennent à sortir les soldats de l’enlisement: la guerre en Ukraine pourrait fort bien redevenir un conflit de basse intensité qui dure des décennies.
Or, le temps qui passe transforme les protagonistes du conflit. Galvanisé par la guerre, le pouvoir russe est encore plus dangereux. Mises en garde et lignes rouges n’y ont rien fait: Alexeï Navalny a été assassiné et Vladimir Poutine se dirige vers une réélection à la mi-mars. L’Ukraine, elle, est plus fragile. Même si elle a reçu de nombreux signes de soutien, elle est aujourd’hui malmenée par les retards dans l’acheminement de l’aide militaire et le manque d’hommes sur le front. Des questions vertigineuses se posent pour son avenir alors que 6,5 millions d’Ukrainiens, selon les chiffres du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies, ont fui à l’étranger: plus la guerre dure, moins ces réfugiés souhaiteront rentrer. Leur accueil et leur intégration sont des enjeux d’autant plus brûlants, on le constate en Suisse aussi.
Enfin, les Etats-Unis se révèlent être un allié moins fiable qu’espéré. Le président Biden a beau se démener, le Congrès américain bloque toujours l’aide à l’Ukraine, signe que le Parti républicain et une partie de l’establishment sécuritaire sont toujours moins attachés au Vieux-Continent.
Et l’Europe? La voici aujourd’hui bien plus alerte face au Kremlin. En deux ans, un pays comme l’Allemagne a par exemple complètement changé d’approche. Olaf Scholz déclarait en janvier 2023 que Kiev ne recevrait jamais de chars Leopard. En décembre, il disait qu’il lui fournirait les armes nécessaires. Mais face à Vladimir Poutine, un sursaut bien plus profond est nécessaire. D’ici cinq ans, le président russe pourrait être prêt à s’attaquer à l’OTAN, estimait récemment le ministre danois de la Défense.
Si notre continent veut, malgré ses innombrables imperfections, continuer d’être un endroit où la démocratie et les droits de l’homme peuvent exister, il doit tout faire pour arrêter Vladimir Poutine en Ukraine. Et l’Europe doit le faire immédiatement: si Donald Trump revient au pouvoir en novembre, il sera peut-être trop tard.
Les Etats-Unis se révèlent être un allié moins fiable qu’espéré
Les ordures ont envahi le jardin de la vieille villa depuis qu’elle sert de base arrière aux dronistes du groupe tactique Adam. A l’intérieur, une étagère de guingois accueille sur ses rayons quelques trophées: des douilles d’obus et des écussons. Quatre militaires en treillis, débraillés, claquettes aux pieds, mâchouillent en silence des vieux biscuits. Entre la fatigue qui les accable et les difficultés que rencontre leur armée, ils n’ont pas de quoi se réjouir. Epinglés aux murs de la cuisine, les dessins que les élèves d’un village de l’ouest de l’Ukraine leur ont envoyés dans les premiers mois de la guerre se sont racornis.
Fatigue chronique
L’espoir que leur armée puisse être victorieuse en quelques mois s’est évanoui. Après l’effroi causé par l’invasion le 24 février 2022 – le début de la guerre à grande échelle, disent les Ukrainiens, pour rappeler que la guerre a en fait commencé en 2014 –, après le repli russe et la reconquête, après la contre-offensive victorieuse de Kharkiv et de Kherson, le vent a tourné en 2023 avec la contre-offensive ratée de l’été. Depuis, le front est presque figé, mais ce sont désormais les Russes qui sont à la manoeuvre. D’espoirs déçus en désillusions, les militaires se sont résignés. Même dans le scénario le plus optimiste, la guerre sera longue et douloureuse avant que l’Ukraine ne l’emporte enfin. Mais le chemin qui mène à la victoire disparaît dans les brumes. Où en est-on aujourd’hui?
Le remplacement, début février, de Valeri Zaloujny par Oleksandr Syrsky à la tête de l’armée a semé un trouble qui perdure, car le premier jouissait de la confiance de tous les militaires alors que le deuxième ne fait pas l’unanimité en raison de son manque de charisme et de son absence supposée d’empathie pour les soldats. Le repli d’Avdiivka et les pertes subies contribuent aussi à démoraliser les troupes. «Nous n’avons plus l’enthousiasme naïf du début de la mobilisation, constate Ivan, mais nous avons gagné en expérience. La baisse de moral est liée à la fatigue mais la motivation demeure inébranlable.» Cependant, ceux qui se battent montrent une bravoure et une combativité remarquables malgré le changement de doctrine de l’armée ukrainienne qui n’est plus à l’offensive mais sur la défensive. D’ailleurs, jour après jour, les communiqués de l’état-major ne font état que d’assauts russes repoussés mais jamais d’avancées ukrainiennes.
La raison qu’avance le gouvernement ukrainien pour justifier les déboires de son armée, ce sont les armes, qui ne lui sont pas livrées ou avec retard. Il fustige les refus, les atermoiements et les promesses non tenues des Etats européens en matière de munitions. Sur le front, les obus manquent, contraignant les artilleurs ukrainiens à ne tirer qu’une fois sur dix, alors que leurs cibles abondent. Une parcimonie que payent de leur vie les fantassins dans les tranchées. En revanche, l’armée ukrainienne bénéficie des armes modernes que leur ont livrées leurs alliés internationaux qui sont plus précises que celles dont dispose l’armée russe. Cet avantage technique ne permet toutefois pas de compenser complètement le déficit chronique de munitions.
Tactique du rouleau compresseur
Si le gouvernement n’a de cesse de stigmatiser le manque d’armes et de munitions pour en obtenir davantage de leurs alliés, les militaires avancent aussi d’autres raisons pour expliquer leurs difficultés. Le manque d’effectifs par exemple a des répercussions fâcheuses sur les capacités de combat des soldats et donc fragilise les lignes de défense. En outre, les troupes ne pouvant quitter leurs positions et jouir de permissions souffrent de fatigue chronique. Une loi de mobilisation devrait bientôt être adoptée par le parlement après avoir été longtemps différée, mais son contenu décevra certainement les militaires. Car à Kiev, au gouvernement, on ne veut pas entendre parler de mesures qui pourraient saper la popularité du président alors que celle-ci s’érode déjà chaque jour davantage. Les Ukrainiens se sentent fatigués des annonces claironnantes de la présidence alors qu’il est apparu clairement que le conflit s’était enlisé. Selon un sondage réalisé en février