A La Haye, Berne a marché sur des oeufs
L’occupation israélienne est-elle illégale? La Suisse est intervenue avec une prudence extrême devant la Cour internationale de justice. L’ex-procureur général adjoint de l’Etat d’Israël est ravi, l’ancien chef du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza beauco
Le 31 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations unies demandait à la Cour internationale de justice un «avis consultatif» non contraignant sur les «conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est». Cette semaine à La Haye, les représentants de 52 pays se sont succédé devant les juges pour donner leur appréciation de la situation.
Hier après-midi, c’était au tour de la Suisse de s’exprimer par la voix de l’ambassadeur Franz Xaver Perrez, chef de la Direction du droit international public, rattachée au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Un discours qui soulignait d’abord les «préoccupations légitimes en matière de sécurité» d’Israël, ainsi que le «droit à l’autodétermination dans le but de vivre en paix» du peuple palestinien, tout en soulignant leur obligation de respecter le droit international.
Le point le plus intéressant de l’intervention suisse, selon l’ancien procureur général adjoint d’Israël Roy Schondorf? La distinction mise en avant entre la légalité de l’occupation (ius ad bellum) et la façon dont elle est gérée (ius in bello). La Suisse a ainsi rappelé qu’aucune disposition du droit humanitaire n’interdit une occupation prolongée, même si elle est entendue par nature comme une situation temporaire. En revanche, si elle dure, elle peut entraîner une tension entre l’obligation de maintenir le statu quo ante et celle d’assurer le bien-être de la population occupée, tension au coeur de l’exposé de la Suisse. «Il me semble très pertinent et utile de distinguer la nature de l’occupation de sa gestion. Ce n’est pas parce qu’elle dure longtemps qu’elle est illégale», affirme Roy Schondorf au Temps. Il relève par ailleurs qu’aux yeux de l’Etat hébreu la présence israélienne prolongée dans les territoires palestiniens est légitime: il s’agit de terres saisies après une guerre de nature défensive pour repousser la Syrie, la Jordanie et l’Egypte.
«Notre sécurité est notre priorité!»
L’ancien procureur israélien se dit aussi très satisfait de l’accent mis par la Suisse sur la négociation. L’ambassadeur Perrez affirmait ainsi que «la Cour internationale de justice doit créer une base pour une solution de paix négociée en clarifiant la situation juridique initiale». Elle ne peut pas forcer une issue, soutenait Berne. «Il est en effet exclu que nous quittions unilatéralement la Cisjordanie: nous risquerions un scénario similaire à celui du 7 octobre. Notre sécurité est notre priorité!» affirme Roy Schondorf.
«L’essentiel du texte suisse ne fait que rappeler les règles sans jamais apporter de réponse»
JOHANN SOUFI, EX-CHEF DU BUREAU JURIDIQUE DE L’UNRWA À GAZA
La loi avant la polémique
Ancien chef du bureau juridique de l’UNRWA à Gaza, l’avocat Johann Soufi a une tout autre interprétation du discours suisse. «Berne a tout fait pour se dérober aux questions. L’essentiel du texte suisse ne fait que rappeler les règles sans jamais apporter de réponse», tacle-t-il. Un exercice d’autant plus vain, estime le juriste, que ce n’est pas le premier. «En 2004 déjà, la Cour avait rendu un avis consultatif sur la légalité du mur construit entre Israël et les territoires occupés. La Cour disait déjà qu’une occupation n’est pas illégale en soi; ce qui la rend illicite, c’est l’annexion. Vingt ans après, il n’y a aucun changement.» Cette semaine à La Haye, la majeure partie des Etats, à part les Etats-Unis et la Hongrie, ont estimé que l’occupation israélienne prolongée violait le droit international en des termes clairs. «Le discours de la Suisse est en revanche totalement dilué, même si elle ne dit rien qui diverge de la majorité.»
Une prudence de Sioux que défendait l’ambassadeur Franz Xaver Perrez, peu avant son discours vendredi: «La plupart des pays qui se sont exprimés devant la Cour sont clairement favorables aux Israéliens ou aux Palestiniens. Nous, nous souhaitions éviter d’être trop explicites afin de faciliter sa tâche. Elle doit prendre des décisions sur une base juridique et non politique. Je crois que nous sommes parvenus à écrire un texte qui ne soit pas polémique tout en restant clairs sur le plan juridique.» Non contraignants, les avis consultatifs de la Cour sont généralement suivis d’effets. Il faudra attendre la fin de l’année pour connaître sa décision. ■