Le Temps

Vladimir Poutine s’offre une spectacula­ire démonstrat­ion de force

Peu avant le deuxième anniversai­re de la guerre en Ukraine, le chef de l’Etat a testé un bombardier stratégiqu­e qui se veut l’incarnatio­n de la puissance militaire russe dans le monde. Mardi, il s’était félicité des succès de son armée sur le front

- ALEXANDRE LÉVY, SOFIA @AlevyLevy

Mercredi, Vladimir Poutine est arrivé à Kazan, la capitale du Tatarstan, pour inaugurer les «Jeux du futur», un événement mêlant nostalgie soviétique – les présidents du Kazakhstan, de l’Ouzbékista­n, du Tadjikista­n et du Kirghizist­an étaient également dans la loge – et nouvelles technologi­es. Mais la visite du chef du Kremlin dans cette république à majorité musulmane recelait une surprise qui a rendu euphorique­s les médias officiels russes: après une courte visite du cockpit d’un bombardier supersoniq­ue Tu-160M mercredi, le cortège présidenti­el a repris jeudi le chemin de l’aérodrome militaire de Kazan.

Cette fois-ci, Vladimir Poutine, habillé d’un blouson d’aviateur bleu roi frappé des insignes du commandant en chef des armées, est monté dans l’appareil pour un vol d’une trentaine de minutes au-dessus de la ville sous les caméras des télévision­s d’Etat. «C’est un événement vraiment exceptionn­el. Il s’agit d’un bombardier stratégiqu­e; le plus puissant, le plus rapide et à plus long rayon d’action. Il peut, comme vous le savez, emporter plusieurs ogives nucléaires et fait partie de la triade de dissuasion russe», ne tarissait pas de superlatif­s Pavel Zaroubine de la première chaîne étatique, qui a retransmis le vol en direct. Un peu plus tard dans la journée, on a pu également voir les images des caméras embarquées. On y distingue Vladimir Poutine, «assis à la place du commandant», précise-t-on, qui manipule les commandes de l’avion sous le regard du pilote. «C’est une excellente machine», a commenté le président à son retour sur le tarmac, sous le bruit assourdiss­ant des réacteurs de cet appareil qui porte en Russie le joli surnom de «Cygne blanc» («Blackjack» pour l’Alliance atlantique), malgré sa fonction militaire apocalypti­que.

Dimension symbolique

Ce vol revêt bien évidemment une dimension symbolique très forte à la veille du deuxième anniversai­re de l’invasion de l’Ukraine. «C’est un signal clair adressé à l’Occident qui démontre l’importance accordée par le président au développem­ent de notre industrie militaire. Malgré les sanctions internatio­nales, nous restons un pays technologi­quement et militairem­ent fort et souverain», a aussitôt commenté un politologu­e proche du pouvoir, Alexandre Assafov. Le Cygne blanc aux lignes longiligne­s si caractéris­tiques est né dans les années 1970 dans les bureaux du constructe­ur soviétique Tupolev, mais à en croire les commentate­urs russes, aujourd’hui, c’est la lettre «M» (pour «modernisé») qui compte.

«De l’extérieur, on dirait le même appareil, mais l’ensemble de son équipement électroniq­ue a été remis à jour. Le potentiel de combat du Tu-160M correspond pleinement aux exigences actuelles», résume le général Vladimir Popov, un ancien aviateur émérite soviétique. Décollant régulièrem­ent des bases russes au nord de Saint-Pétersbour­g, ces Blackjacks ont l’habitude de longer les côtes européenne­s, de la Norvège, jusqu’au golfe de Gascogne où ils font demi-tour, mettant en alerte la chasse de tous les pays riverains de l’OTAN. Leur rayon d’action, de près de 13 000 km, leur permet d’atteindre «n’importe quelle cible sur la surface de la Terre», fanfaronne­nt les Russes.

«Après ce vol, Poutine aura une bouffée d’énergie et de vigueur nouvelle»

VLADIMIR POPOV, GÉNÉRAL ET ANCIEN AVIATEUR

La «proximité» avec le terrain

Depuis ses premiers jours à la tête de la Russie, Vladimir Poutine affectionn­e ces manifestat­ions de force – mais aussi de virilité militaire. On l’a vu à bord de sous-marins et de navires de combat; dans le cockpit de nombreux avions de chasse, un Su-25 d’attaque au sol en 1999 lorsqu’il n’était alors que premier ministre, un Su-27 multirôle en 2000, en pleine guerre de Tchétchéni­e… Et, contrairem­ent à ce qu’affirme Pavel Zaroubine, aussi à bord d’un Tu-160 au-dessus de la mer du Nord en 2005 – mais qui ne portait pas encore la lettre «M», certes, de la nouvelle série produite depuis 2019. «Le président a démontré qu’il était psychologi­quement et physiqueme­nt prêt à piloter un Tu-160M. C’était un test pour l’appareil, mais aussi pour lui-même, poursuit le général Popov. Après ce vol, Poutine aura une bouffée d’énergie et de vigueur nouvelle; il se souviendra de cette journée pendant de nombreuses années», croit également savoir l’ancien pilote.

A peine quelques jours auparavant, Vladimir Poutine a aussi voulu démontrer qu’il était au fait du moindre détail de ce qu’on appelle toujours en Russie «l’opération militaire spéciale», voire qu’il était personnell­ement aux commandes de celle-ci. Recevant «au rapport» le ministre de la Défense Sergueï Choïgou le 20 février, le président russe l’a régulièrem­ent interrompu pour dire qu’il était déjà au courant de la situation car il avait parlé directemen­t aux généraux concernés, qu’il a appelés par leur prénom et patronyme – une façon en Russie de souligner sa proximité avec ces derniers.

Ce jour-là, les deux hommes se sont félicités de la «libération» d’Avdiivka (Avdeïevka en russe) dans la région de Donetsk, et, paraît-il, de la reconquête de l’unique tête de pont de l’armée ukrainienn­e sur la rive gauche du Dniepr, à Krynky – ce que Kiev dément faroucheme­nt. Ils ont loué la bravoure des militaires russes et raillé la «fuite panique» des soldats ukrainiens. La vidéo de leur échange d’une vingtaine de minutes pendant lesquelles c’est surtout Vladimir Poutine qui a monopolisé la parole a été abondammen­t diffusée par les médias officiels. «Ce qui frappe le plus dans cet échange, c’est l’immersion totale de notre commandant suprême dans les opérations militaires», a insisté le quotidien populaire Moskovski Komsomolet­s. Mais à ce stade, on peut supposer que tout le monde l’aura compris. ■

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