Sur les traces des véhicules «fantômes»
La statistique de 4,7 millions inclut uniquement les voitures de tourisme immatriculées. Il faut y ajouter la masse d’automobiles d’occasion en attente d’être revendues, demande une motion déposée par le PLR Philippe Bauer
Combien de voitures compte la Suisse? Etonnamment, la réponse à cette question n'existe pas. La statistique officielle détermine certes que 4,7 millions de véhicules de tourisme y sont immatriculés. Mais ce chiffre ne dit rien du parc de voitures d'occasion, en attente d'être revendues. Si l'auto est destinée à l'exportation ou si elle est démembrée pour une exploitation en pièces détachées, on perd sa trace. Cette absence de statistique est-elle pénalisante? Assez pour qu'un sénateur PLR dépose une motion qui sera débattue lors de la session de printemps, qui commence le lundi 26 février.
«Même si le domaine automobile constitue un pan important de notre économie qui est directement concerné par la politique environnementale, il n'est actuellement pas possible de connaître le nombre exact de véhicules que compte le parc automobile suisse», regrette le texte rédigé par le Neuchâtelois Philippe Bauer, qui a quitté le parlement suite aux élections d'octobre dernier.
Sénateur ventriloque
Selon lui, déterminer le nombre total de voitures aura deux vertus principales. La première vise à lutter contre le gaspillage: «L'expérience de certains professionnels de l'automobile tend à démontrer qu'une partie des véhicules détruits le sont trop tôt. Cela semble indiquer que, d'une part, il y aurait trop de voitures en Suisse par rapport aux besoins du marché, ce qui oblige à faire de la place, et que, d'autre part, nous gaspillons une quantité non négligeable d'énergie grise et de ressources naturelles et cela même si ces véhicules passent par la case recyclage.»
La seconde est une considération de politique économique. Philippe Bauer rappelle que ce sont les garages qui absorbent ce marché des occasions. Ce «capital immobilisé» coûte cher et perd chaque jour de la valeur. «Ces liquidités stagnantes vident dès lors ces PME d'une partie de la substance indispensable au bon développement de l'entreprise. Ainsi plus le parc de véhicules d'occasions augmente, plus les charges relatives y deviennent pesantes pour la santé économique du secteur», conclut-il.
A vrai dire, le sénateur se faisait ventriloque avec cette motion. C'est une pétition de garagistes ainsi que la rencontre d'un conférencier invité par son parti cantonal qui l'amèneront à la rédiger. Lucien Willemin y présentait une partie des thèses qu'il développera plus tard dans Halte au gaspillage automobile, son quatrième livre.
Garagistes divisés
«Nous sommes invités à délaisser les véhicules existants pour du neuf. Résultat, nous gaspillons des voitures au nom du climat, c'est un paradoxe.» Dans son ouvrage de vulgarisation, rapide et nerveux, Lucien Willemin s'étonne en effet de dispositions comme celle adoptée par le canton de Genève en 2020: en cas de pic de pollution, la circulation est restreinte par le moyen de vignettes, attribuées selon des critères d'émissions de gaz à effet de serre. L'exemption de taxe sur les voitures électriques pratiquée par plusieurs cantons le crispe également. «Ce type de mesures peut me rassurer en tant que citoyen suisse, dit l'auteur. Mais en tant que citoyen du monde cela m'insécurise, car nos voitures d'occasion partent rouler dans des pays moins développés où elles pollueront plus qu'ici. Exporter nos véhicules usagés aggrave la situation globale et ce simple fait devrait nous sauter aux yeux.»
Pour «ne pas naviguer à vue», il préconise donc la création d'une statistique complète, qui fera apparaître une réalité méconnue. «Les garagistes souffrent de cette situation, reprend-il. Ce sont eux qui doivent financer le surplus de voitures. Plus de 200 garagistes ont signé une interpellation fédérale pour que les véhicules non immatriculés soient officiellement comptabilisés.»
A la Commission des transports du Conseil des Etats, le texte a recueilli de justesse une majorité. Cela annonce des débats serrés le 6 mars, date prévue de son passage en séance plénière. Les associations professionnelles actives dans la mobilité sont en effet hésitantes. Le TCS n'a pas pris position sur cette motion. Plus révélateur, l'Union suisse des professionnels de l'automobile (UPSA), la faîtière des garagistes, est divisée. La position officielle de la centrale nationale est le rejet: le texte «est fondamentalement dans l'intérêt de nos membres, car plus les véhicules roulent longtemps, plus il y a de travail dans l'atelier, nous ontils fait savoir. Il ne s'agit toutefois que de théorie, car aucun contrôle ne peut être effectué dans le trafic transfrontalier». L'UPSA Vaud, elle, apporte «un soutien complet» à la motion, convaincue qu'«un équilibre doit être trouvé entre le remplacement frénétique des véhicules, poussé par l'obsolescence programmée et les constructeurs, et une utilisation raisonnable des véhicules dans la durée». En coulisses, les tractations sont intenses.
Dans son courrier de soutien, la même branche vaudoise se dit «par nature favorable à la réparation, à la prolongation de vie des véhicules, au rétro-fitting». La journée du 6 mars devrait donc ravir les garagistes vaudois: après avoir tranché sur la motion Bauer, les sénateurs traiteront de celle de Bruno Storni. Le sénateur socialiste tessinois veut encourager le rétro-fitting, soit la possibilité de remplacer le moteur thermique d'une voiture par un moteur électrique.
Les deux textes sont assurés d'un soutien à gauche, tant ils vont dans le sens d'une économie circulaire que le Conseil fédéral veut développer, rappelle Delphine Klopfenstein Broggini. La Verte genevoise, membre de la Commission des transports du Conseil national, souligne que, de son point de vue, il faut d'ailleurs «réduire le parc automobile avant de l'électrifier». De quoi occuper les garagistes suisses pendant de longues années.
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