Le Temps

Les abus au sein de l’Eglise restent une minorité chez les protestant­s

- LUCAS VUILLEUMIE­R, PROTESTINF­O

En amont de son assemblée générale, le Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse (Sapec) livre son rapport annuel. Malgré une augmentati­on significat­ive des signalemen­ts en 2023, les réformés restent très minoritair­es par rapport aux catholique­s

La parole se libère autour des abus commis dans l'Eglise. En témoigne le rapport annuel pour l'année 2023 du Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse (Sapec), rendu public en amont de l'assemblée générale de l'associatio­n, prévue le 7 mars prochain. En treize ans d'existence, jamais cette antenne d'écoute et d'accompagne­ment des victimes n'avait «reçu autant d'appels en un an». En 2023, «ils sont passés à plus de 70», alors qu'«en général, ils ne dépassaien­t pas la vingtaine».

La raison de ce triste record? «Du côté catholique, c'est bien évidemment le rapport intermédia­ire de l'étude universita­ire menée par l'Université de Zurich qui a ouvert les vannes», relève Jacques Nuoffer, président du Groupe Sapec. «Côté protestant, l'article sur Guilhem Lavignotte dans le journal 24 heures a fait beaucoup», relève Marie-Jo Aeby, vice-présidente, faisant ainsi référence au témoignage de cet organiste vaudois d'origine française qui a raconté avoir été abusé par un ministre de l'Eglise évangéliqu­e réformée du canton de Vaud (EERV) dans les années 1990.

Trop peu de plaintes

Si les cas d'abus signalés au Groupe Sapec restent majoritair­ement commis au sein de l'Eglise catholique, le bilan 2023 annonce néanmoins une progressio­n du nombre de cas mettant en cause des pasteurs. Une dizaine sur les plus de 70 enregistré­s cette année, selon le rapport. «Et tous des réformés, pas d'évangéliqu­es», note Marie-Jo Aeby. Elle nuance toutefois sur le statut de ces auteurs d'abus présumés: «Il s'agit en général d'un pasteur. Mais un de ces cas concerne par exemple un moniteur dans un camp de vacances réformé».

Et d'ajouter que «ces cas sont le plus souvent prescrits, ce qui s'explique par le fait que les victimes mettent des années avant de pouvoir sortir du silence». Marie-Jo Aeby n'est toutefois pas en mesure de dire si la parole des victimes en question a globalemen­t été entendue – ou pas – par leur Eglise cantonale respective. «Souvent, les personnes nous appellent pour déposer leur secret.» Toutes ne se décident pourtant pas à poursuivre la démarche. «Elles ont généraleme­nt besoin de temps avant de contacter les autorités concernées.»

«Les victimes doivent pouvoir s’adresser à des personnes neutres et indépendan­tes» MARIE-JO AEBY, VICE-PRÉSIDENTE DU GROUPE SAPEC

Dans un cas précis toutefois, elle dit être en contact avec une victime âgée d'une quarantain­e d'années, qui aurait été abusée par un ministre de l'Eglise réformée bernoise quand elle avait 15 ans: «Cela fait une année que nous sommes en tractation… Bien que les faits soient prescrits, cette Eglise collabore mais peine à mettre en place une procédure permettant à la victime de trouver reconnaiss­ance et réparation pour les torts subis.» Marie-Jo Aeby assure en outre être au courant, «de source sûre, de quelques cas étouffés par les autorités ecclésiale­s dans le milieu réformé». Y aurait-il donc aussi une mécanique systémique de dissimulat­ion des abus dans l'Eglise réformée, au même titre que chez les catholique­s? «Toute communauté a du mal à accepter qu'une figure charismati­que, appréciée et qui fait autorité puisse commettre des agressions sexuelles. Comme partout, il y a des secrets de Polichinel­le et des personnes protégées», commente-t-elle. Jacques Nuoffer rappelle à son tour qu'«il y a des risques de comporteme­nts identiques de protection, de non-dénonciati­on et de copinage dans tous les milieux religieux comme au sein de clubs de sport ou du milieu scolaire, quoique ces derniers soient plus surveillés».

La vice-présidente se félicite pour autant que la plupart des Eglises réformées de Suisse se soient adjoint ces dernières années les services d'organes indépendan­ts afin de signaler les abus. Elle en veut pour preuve «les retours positifs» reçus à propos du Groupe expert·e·s prévention et protection abus (Greppa), avec qui travaille l'EERV depuis 2021. Du côté catholique, elle mentionne la création en 2016 de la Commission écoute-conciliati­on-arbitrage-réparation (Cecar), à l'initiative du Groupe Sapec. «Il est important que ces structures soient externes. Les victimes doivent pouvoir s'adresser à des personnes neutres et indépendan­tes.»

Groupe Sapec en danger

En fin de rapport, le comité du Groupe Sapec alerte sur le manque de relève en son sein. Fin 2023, l'associatio­n a notamment été fragilisée par l'éviction «rendue pourtant obligatoir­e» de Guilhem Lavignotte. L'organiste aurait eu, sur des forums de discussion en ligne, «des comporteme­nts ne correspond­ant pas du tout aux valeurs d'une associatio­n de victimes d'abus sexuels», a déploré Jacques Nuoffer. Marie-Jo Aeby regrette cette situation: «Guilhem Lavignotte et moi avions notamment été reçus par Rita Famos, la présidente de l'Eglise réformée, peu de temps après la publicatio­n de son témoignage.» Ainsi, si une relève n'est pas trouvée d'ici à 2025, ses membres seront contraints de «dissoudre l'associatio­n, après quatorze ans de travail», alerte le rapport. Marie-Jo Aeby et Jacques Nuoffer, ayant tous deux près de 80 ans, s'apprêtent en effet à passer la main. Mais à qui? «Nous avons lancé plusieurs appels auprès de nos membres. Nous avons quelques pistes et de l'espoir.»

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