Le Temps

La haine de l’autre

- AZAR TAHBAZIAN, GENÈVE

Le 8 février dernier, les passagers d’un train ont été pris en otage. Que ces heures ont dû être longues… Je suis profondéme­nt navrée de ce qu’ils ont eu à vivre.

Voyez-vous, cette histoire me touche… En tant qu’être humain, en tant qu’Iranienne, en tant que Genevoise. Je suis binational­e, en Suisse depuis 1977, et régulièrem­ent une claque me rappelle que je serai toujours une étrangère.

J’étais venue ici pour étudier puis rentrer chez moi, la révolution de 1979 en a décidé autrement et Genève est devenue ma ville. Cette précision me semble utile car je n’ai pas vécu les situations décrites plus loin.

J’ai beaucoup lu ces derniers jours sur ce bien triste événement… Les articles bien sûr, mais aussi les commentair­es sur les réseaux sociaux: «Un de moins… 1-0… On a fait les poubelles…» Comment peut-on dire de telles horreurs? Qu’auraient-ils dit s’il s’agissait d’un citoyen suisse? Il faut être un monstre pour écrire de tels mots, bien planqué derrière son écran.

Dans ce cas précis, il s’agit d’un problème psychologi­que. Ce n’est pas une question de nationalit­é ou de permis de séjour, allez ranger votre haine. Et la police a fait ce qu’elle avait à faire, aucun doute là-dessus. Qu’on arrête de dire qu’ils auraient pu faire autrement.

Si ces petits esprits étriqués pensent qu’il est facile de quitter son pays, sa terre, sa famille, son histoire, eh bien ils se trompent lourdement. S’ils pensent qu’il est aisé d’être dans un camp en attente d’une décision, sans pouvoir construire une vie, eh bien ils se trompent vraiment. S’ils pensent que c’est facile d’accepter une décision de renvoi après plusieurs années, alors que vos enfants considèren­t qu’ils sont d’ici, eh bien ils se trompent encore.

Non, tout le monde n’est pas ici pour profiter. Beaucoup souhaitent et espèrent un nouveau départ. Sauf qu’en plus d’être long, le système actuel ne fait qu’attiser la haine envers l’autre… Avoir une double nationalit­é est un privilège car on est riche d’une double culture. Le revers de la médaille est qu’on ne se sent jamais chez soi nulle part: ici, je reste une étrangère et là-bas, je suis devenue étrangère.

Quant à ceux qui crachent sans cesse sur l’étranger, qu’ils retournent à leur misérable vie. La haine n’a pas sa place dans un pays de paix. ▅

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