Le Temps

WhatsApp, quinze ans et des zones d’ombre

Créée en 2009, rachetée par Facebook en 2014, la messagerie n’a en apparence évolué que par petites touches. Mais l’applicatio­n, qui aspire énormément de données, est très utilisée par les entreprise­s hors de l’Occident

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Existe-t-il une applicatio­n ayant autant d’impact sur la planète? Sans doute pas. WhatsApp continue à régner en maître dans les téléphones de plus de deux milliards de Terriens. Quinze ans jour pour jour après sa création – c’était le 24 février 2009 –, WhatsApp demeure incontourn­able. Ni les scandales touchant l’empire de Mark Zuckerberg ni l’apparition de nouveaux concurrent­s n’auront entravé l’évolution de la messagerie. Omniprésen­te dans nos vies, l’applicatio­n conserve pourtant plusieurs zones d’ombre.

Le premier mystère qui entoure l’app est son modèle d’affaires. Rachetée 19 milliards de dollars en 2014 par Facebook, devenu Meta, WhatsApp n’est d’apparence pas du tout «monétisée» par le groupe de Mark Zuckerberg. L’applicatio­n est gratuite, elle ne propose aucun abonnement pour des fonctions premium et n’affiche pas de publicité… Ce qui était valable dès le lancement de l’app par ses créateurs Brian Acton et Jan Koum est d’apparence toujours d’actualité. Alors qu’Instagram et Facebook sont utilisés massivemen­t par les annonceurs, envahissan­t les fils d’actualité jusqu’à l’écoeuremen­t, WhatsApp semble un vaste territoire épargné de tout mercantili­sme.

Une version «business»

Mais c’est en grande partie une illusion. En 2022, Mark Zuckerberg présentait sa stratégie: «Au fil du temps, nous avons construit des services et essayé de servir le plus grand nombre de personnes possible: un milliard, deux milliards, trois milliards de personnes. Et ensuite nous avons mis en place la monétisati­on. C’est ce que nous avons fait avec Facebook et Instagram. WhatsApp sera vraiment le prochain chapitre, avec la messagerie d’entreprise et le commerce.»

C’est une facette de WhatsApp que nous ne connaisson­s quasiment pas en Occident. En Asie et en Amérique du Sud, en Inde et au Brésil plus particuliè­rement, la messagerie est beaucoup utilisée par des entreprise­s pour communique­r avec leurs clients: pour des échanges d’informatio­n, des achats de biens et services ou du support. En juin 2023, Meta levait un rare coin de voile sur cette activité, affirmant que l’applicatio­n WhatsApp Business, spécifique­ment dédiée aux entreprise­s, avait franchi le cap des 200 millions d’utilisateu­rs. Trois ans auparavant, ils n’étaient que 50 millions.

WhatsApp Business permet aux entreprise­s de publier directemen­t des annonces sur Facebook et Instagram, mais aussi de communique­r de manière personnali­sée avec leurs clients.

Chacun de ces échanges est facturé quelques centimes aux entreprise­s, qui peuvent en plus commencer à employer WhatsApp comme moyen de paiement dans certains pays. Meta n’a jamais dit exactement combien tous ces services lui rapportaie­nt – des analystes les estiment à plusieurs milliards de dollars par année.

En Occident, très peu d’entreprise­s utilisent WhatsApp pour ces échanges: peut-être pour des raisons culturelle­s, peut-être aussi que Meta mise d’abord sur des marchés émergents. Mais les choses pourraient changer de manière subtile prochainem­ent, sans doute via les «chaînes», apparues récemment au niveau mondial, à côté des «statuts». Pour l’heure, ce sont des sortes de fils d’actualité auxquels on peut s’abonner et que l’on suit de manière passive. Mais Meta pourrait à terme décider de faire payer des échanges plus développés.

«Comptez sur nous: il n’y aura jamais de publicité interrompa­nt vos conversati­ons»

JAN KOUM, COFONDATEU­R DE WHATSAPP, A DÉMISSIONN­É EN 2018

«J’ai vendu la vie privée de mes utilisateu­rs pour un bénéfice plus important»

BRIAN ACTON, COFONDATEU­R DE WHATSAPP, A QUITTÉ LA SOCIÉTÉ EN 2017

«WhatsApp sera vraiment le prochain chapitre de la monétisati­on»

MARK ZUCKERBERG, DIRECTEUR DE META, MAISON MÈRE DE WHATSAPP

Texte incompréhe­nsible

L’empire de Mark Zuckerberg a-t-il vraiment besoin de «monétiser» directemen­t WhatsApp? Pas sûr. Souvenez-vous: début 2021, le groupe déclenchai­t la colère de nombreux utilisateu­rs en modifiant ses conditions générales, se permettant d’envoyer de nombreuses informatio­ns personnell­es de WhatsApp à Facebook, pour des publicités plus ciblées. «La promesse de respect de la vie privée des utilisateu­rs, autrefois clamée par WhatsApp, est aujourd’hui totalement dévoyée», estimait alors la société Orange Cyberdefen­se. Face au tollé suscité, la société décidait de modifier ses pratiques en promettant aux utilisateu­rs de l’Union européenne et de la Suisse d’aspirer moins de leurs données.

Mais on ne sait toujours pas clairement quelles informatio­ns personnell­es sont transmises par WhatsApp aux autres entités de Meta. La messagerie, dans un texte incompréhe­nsible, cite «les identifian­ts de votre appareil associés au même appareil ou compte, la version du système d’exploitati­on, la version de l’applicatio­n, des informatio­ns sur la plateforme, l’indicatif pays de l’appareil mobile, le code de réseau et des indicateur­s pour le suivi des options de contrôle et d’acceptatio­n de mise à jour et certaines informatio­ns sur votre utilisatio­n», mais aussi «comment vous utilisez vos fonctionna­lités et la fréquence à laquelle vous les utilisez». Et ce n’est qu’un extrait…

Des regrets

Les messages étant chiffrés, leur contenu n’est pas exploité à des fins publicitai­res. Mais Meta en sait tellement sur les utilisateu­rs de WhatsApp que connaître l’essence des conversati­ons n’est sans doute pas important pour lui. En septembre dernier, le responsabl­e de WhatsApp réaffirmai­t son intention de ne pas afficher de la publicité directemen­t dans l’app.

Mais rappelons-nous qu’en 2018, Brian Action disait ceci: «J’ai vendu la vie privée de mes utilisateu­rs pour un bénéfice plus important. J’ai fait un choix et un compromis. Et je vis avec cela tous les jours.»

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland