Le Temps

Fécondatio­ns in vitro, un recul inquiétant

La récente décision de la Cour suprême de l’Alabama a déjà des conséquenc­es. Trois cliniques de cet Etat américain ont interrompu leurs traitement­s pour les FIV, obligeant certains couples à s’exiler pour espérer encore avoir un enfant

- LÉO TICHELLI, SAN FRANCISCO @TichelliL

De nombreux spécialist­es de la santé redoutaien­t que la décision de la plus haute instance de l’Alabama, actant que les embryons congelés ont le même statut juridique qu’un enfant, provoque la fermeture de services consacrés à la fécondatio­n in vitro. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que leurs craintes deviennent réalité. Jeudi, trois cliniques mettaient déjà sur pause leurs services, dont le plus grand hôpital de l’Etat, sur les huit proposant ce genre de prestation­s.

Le jugement place en effet les établissem­ents médicaux dans un flou juridique les exposant à de potentiell­es poursuites civiles ou pénales. «Nous avons pris la décision extrêmemen­t difficile de suspendre les nouveaux traitement­s de FIV en raison des risques juridiques encourus par notre clinique et nos embryologi­stes, a annoncé sur Facebook la clinique Alabama Fertility Specialist­s. Nous contactons les patients qui seront affectés aujourd’hui afin de trouver des solutions pour eux et nous travaillon­s aussi dur que possible pour alerter nos législateu­rs sur l’impact négatif considérab­le de cette décision sur les femmes de l’Alabama.»

Désarroi des futurs parents

Même annonce pour l’Université d’Alabama à Birmingham, qui doit «évaluer la décision de la Cour suprême», ainsi que «la possibilit­é que [ses] patients et [ses] médecins soient poursuivis.» Dans un communiqué, un troisième établissem­ent informait qu’il préparait le transfert des embryons congelés.

Ces interrupti­ons sont problémati­ques pour les personnes envisagean­t une FIV, mais encore davantage pour les personnes en cours de traitement, ou ayant des embryons stockés dans une clinique de l’Alabama. De nombreux médias américains relatent la situation complexe dans laquelle se trouvent de nombreuses femmes, dont certaines ont vu leur rendez-vous pour l’implantati­on d’un embryon annulé du jour au lendemain. Des couples ont même décidé de fuir l’Etat pour maintenir leur chance d’avoir un enfant. C’est par exemple le cas, relaté par la chaîne américaine CNN, de Gabrielle Goidel et de son mari qui, après une procédure longue et coûteuse, se sont vu informer par leur clinique qu’elle était «disposée à prélever ses ovules, mais qu’elle ne pouvait pas garantir qu’elle serait en mesure de les utiliser pour fabriquer des embryons, les stocker ou les expédier».

D’autres personnes ayant réussi à avoir un enfant ne savent désormais pas quoi faire avec leurs embryons restants, ignorant si les transférer dans un autre Etat ou les détruire serait poursuivi pénalement. Autre crainte: devoir continuer à payer des frais de stockage dans l’attente que la question soit réglée juridiquem­ent.

Les réactions ont fusé après le jugement de la Cour suprême de l’Alabama. «Pour les personnes souffrant d’infertilit­é et essayant de fonder une famille, un cycle de FIV «normal» est déjà assez difficile. Des centaines de personnes, voire des milliers, se trouvent actuelleme­nt au milieu d’un processus médical physiqueme­nt et émotionnel­lement éprouvant pour réaliser leur rêve d’avoir un bébé. Aujourd’hui, moins d’une semaine après [cet] arrêt dévastateu­r, des [personnes] en cours de traitement ont vu leur vie, leurs espoirs et leurs rêves anéantis», s’est insurgée dans un communiqué Resolve, l’associatio­n nationale contre l’infertilit­é. Joe Biden a qualifié cette décision de «scandaleus­e et inacceptab­le» et a déclaré qu’il s’agissait d’un «résultat direct de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade». La vice-présidente Kamala Harris a quant à elle déclaré que «l’ironie de l’histoire est que d’un côté, ces personnes suggèrent qu’une femme n’a pas le droit de mettre fin à une grossesse non désirée, et de l’autre, qu’elle n’a pas le droit de tomber enceinte». La candidate républicai­ne Nikki Haley a pris position en faveur de la décision des juges de l’Alabama. «Pour moi, les embryons sont des bébés», a-t-elle déclaré lors d’une interview sur la chaîne NBC, alors qu’elle a elle-même eu recours à une méthode de procréatio­n artificiel­le pour avoir son fils, en l’occurrence une inséminati­on artificiel­le, ne nécessitan­t pas d’embryons.

La FIV est responsabl­e aux Etats-Unis d’environ 2% des naissances

«La colère de Dieu»

La poticienne a ensuite tenté de tempérer ses propos en affirmant qu’elle n’avait pas dit qu’elle était «d’accord avec le jugement de la Cour suprême». Cette dernière ne s’est d’ailleurs pas uniquement basée sur le droit, ce que supposait Nikki Haley, mais a aussi motivé son jugement en citant notamment la Genèse et des écrits de théologien­s des XVIe et XVIIe siècles. «La vie humaine ne peut être détruite sans encourir la colère d’un Dieu saint. […] Même avant la naissance, tous les êtres humains sont à l’image de Dieu, et leur vie ne peut être détruite sans effacer sa gloire», a ainsi écrit le président de la cour, Tom Parker.

Les inquiétude­s sont grandes que d’autres Etats tentent de s’inspirer de cet arrêt, alors que toujours plus de personnes ont recours à la fécondatio­n in vitro pour avoir un enfant. Cette technique est responsabl­e aux EtatsUnis d’environ 2% des naissances et plus d’un million d’embryons seraient cryogénisé­s à travers le pays. Selon une enquête du Pew Research Center datant de 2023, 42% des adultes interrogés déclarent avoir eu recours à des traitement­s de fertilité ou connaître personnell­ement quelqu’un qui l’a fait, soit près de 10% de plus qu’il y a cinq ans.

 ?? (ZEPHYR/SCIENCE PHOTO LIBRARY) ?? Un embryon prêt à être implanté dans l’utérus d’une femme 72 heures après avoir été soumis à une fécondatio­n in vitro. A ce stade de son évolution, il est composé de quatre à huit cellules.
(ZEPHYR/SCIENCE PHOTO LIBRARY) Un embryon prêt à être implanté dans l’utérus d’une femme 72 heures après avoir été soumis à une fécondatio­n in vitro. A ce stade de son évolution, il est composé de quatre à huit cellules.

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