Le Temps

Comment préserver les objets viodéoludi­ques

- G. B. ■

Selim Krichane, le directeur du Musée suisse du jeu, s’exprime en marge de la nouvelle exposition «De la case au pixel», qui retrace les liens entre jeux anciens et contempora­ins Selim Krichane est directeur du Musée suisse du jeu (MSJ) depuis avril 2023. Cofondateu­r du GameLab, un groupe de recherche sur le jeu vidéo de l’Université de Lausanne, il s’est immédiatem­ent consacré à la réalisatio­n de l’exposition De la case au pixel, à voir jusqu’au 5 janvier 2025.

Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour que le jeu vidéo intègre enfin le Musée suisse du jeu?

«Plusieurs studios en Suisse romande ont été créés par des femmes»

C’est une évolution qui s’explique en partie par un changement d’équipe. Mon prédécesse­ur était un spécialist­e de l’archéologi­e, historien des jeux, et il s’intéressai­t donc principale­ment aux jeux anciens. Il y a quand même eu une présence sporadique du jeu vidéo au MSJ ces dernières décennies. Pour ma part, je suis historien des médias de formation et spécialist­e des jeux vidéo. C’est un changement de génération. Désormais, créer des liens entre la longue histoire du jeu et sa dimension contempora­ine, où le jeu vidéo occupe une place importante, fait partie de nos axes stratégiqu­es. Au même titre d’ailleurs que la préservati­on de ces objets vidéoludiq­ues.

Est-ce qu’il s’agit d’un média difficile à préserver?

C’est un objet culturel périssable. Les supports sur lesquels reposent les jeux, comme les disques optiques ou les cartouches, mais aussi les ordinateur­s, consoles et autres périphériq­ues sont en proie à l’obsolescen­ce. Réussir à les conserver est un enjeu, mais ce n’est pas le seul. Il faut pouvoir contextual­iser ces objets, ce qui nécessite de les analyser et de les comprendre. Pour l’exposition, nous avons d’ailleurs collaboré avec l’Associatio­n suisse des archiviste­s du jeu vidéo (SVGA), créée en 2023. C’est elle qui a mis en place le parc informatiq­ue présent dans De la case au pixel. La Suisse a-t-elle traîné les pieds avant de reconnaîtr­e la légitimité du jeu vidéo? Ce n’est en tout cas pas l’un des premiers pays à avoir reconnu la valeur culturelle et patrimonia­le de ce secteur! Mais il y a des signaux positifs, avec l’engagement de Pro Helvetia en faveur de la création de jeux vidéo dès 2012. Le canton de Vaud en fait autant depuis 2018. La Suisse a la chance d’avoir des institutio­ns étatiques qui ont les moyens de soutenir le jeu vidéo, en plus de pouvoir compter sur des spécialist­es dans le domaine de la recherche et sur le plan associatif.

Si le cinéma est le 7e art, le jeu vidéo est-il le 8e?

Il s’agirait plutôt du 10e art. Cette notion est apparue au début des années 1990, dans un livre écrit par les frères Le Diberder. C’était bien avant le mouvement de légitimati­on culturelle qui a commencé dans les années 2000. D’ailleurs, cette reconnaiss­ance s’est faite progressiv­ement. L’apparition d’une scène de création indépendan­te et l’entrée dans des musées y ont contribué.

Le jeu vidéo a des clichés qui lui collent toujours à la peau, que ce soit dans la presse ou auprès des dirigeants. En tant que chercheur, ça vous inspire quoi?

J’ai justement travaillé sur le discours de réception, que ça soit dans la sphère sociale ou dans la presse. Il s’agit en fait d’une panique morale qui n’a rien d’un phénomène propre au jeu vidéo. Le cinéma y a été confronté à ses débuts, comme le jeu de rôles. La particular­ité du jeu vidéo, c’est qu’il regroupe à la fois une dimension ludique, qui est culturelle­ment considérée comme frivole, et une dimension technologi­que avec l’informatiq­ue et les écrans, elle-même source d’angoisse. Cela prend donc peut-être plus de temps de s’extraire de ces représenta­tions, mais sa perception sociale a beaucoup évolué ces vingt dernières années.

Les femmes sont toujours plus nombreuses à s’adonner aux jeux vidéo. Sont-elles désormais assez représenté­es dans l’industrie?

Certaineme­nt pas. C’est un enjeu tant pour l’industrie que pour la scène créative. Mais il s’agit d’un problème qui touche l’informatiq­ue en général. J’observe néanmoins une évolution notable au cours des quinze dernières années. Des collectifs et des associatio­ns autour de cette thématique ont été créés, et le développem­ent de la scène de création indépendan­te a permis à plus de femmes d’être visibles. Le studio le plus influent de Suisse, Stray Fawn, a d’ailleurs été fondé par une conceptric­e zurichoise, Philomena Schwab. Plusieurs studios en Suisse romande ont aussi été créés par des femmes.

Le jeu vidéo le plus populaire créé en Suisse se trouve être «Farming Simulator», une simulation où l’on développe son entreprise agricole. C’est un peu cliché pour notre pays, non?

La Suisse n’a pas d’industrie du jeu vidéo. C’est un petit marché dans un contexte oligopolis­tique, dominé par les Etats-Unis et le Japon, et dans lequel le rôle de l’Europe reste marginal. Nous avons ici surtout un paysage de petits studios composés d’une à dix personnes. Au-delà de Farming Simulator,

qui est d’ailleurs très apprécié en Allemagne, il y a toute une diversité de jeux suisses, qui mérite d’être découverte et soutenue.

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