«L’usage du dossier électronique du patient doit se répandre»
Pour le conseiller national Benjamin Roduit (Le Centre/VS), il faut de toute urgence donner un coup de pouce à cet outil numérique. Une rallonge de 30 millions est sur la table. Un projet qui devrait être accepté mardi à Berne
Le dossier électronique du patient (DEP) n’en finit pas de décevoir. La population le boude (30 000 personnes seulement avaient franchi le pas fin 2023) et les professionnels de la santé le critiquent vertement. Un désintérêt qui pousse le parlement à intervenir puisque la Confédération en a fait un des piliers de la numérisation de la santé.
En attendant la révision complète de la loi sur le dossier électronique du patient (LDEP), en cours de consultation, le Conseil des Etats se penche mardi sur une rallonge de 30 millions de francs pour encourager l’ouverture du DEP à travers le pays. Un vote qui devrait tenir de la formalité, le National l’ayant accepté en décembre dernier, malgré les réticences de l’UDC. Thomas de Courten (UDC/BL) estime que «le DEP est un patient aux soins intensifs à qui on va mettre une perfusion de 30 millions alors qu’on ne sait toujours pas de quoi il souffre».
Le centriste valaisan Benjamin Roduit, membre de la Commission de la santé du National et ardent défenseur de l’outil, fait le point sur la situation.
«Il y a une forte opposition surtout chez les médecins. Je crois qu’en fait, on les a simplement oubliés dans la mise en oeuvre de cet outil»
Quels sont les enjeux concernant le dossier électronique du patient (DEP) lors de la session qui débute lundi?
Il s’agit d’accélérer sa mise en oeuvre grâce à un financement transitoire. Et aussi de discuter du libre choix du fournisseur de DEP pour les patients. Les aides financières de la Confédération et des cantons doivent être allouées indépendamment du fournisseur choisi.
Concrètement, à quoi servira la rallonge de 30 millions de francs?
A accélérer partout en Suisse l’ouverture des dossiers électroniques du patient, grâce à une prime maximale de 30 francs allouée au fournisseur pour chaque dossier ouvert. Actuellement, il y a encore débat pour savoir si ces montants devraient également être utilisés pour le développement du DEP et si cette somme est suffisante. Cette démarche est importante parce qu’actuellement, le nombre de dossiers ouverts est catastrophique. Il est urgent d’accélérer l’utilisation de cet outil. A terme, cela permettra de faire des économies et aussi d’éviter les doublons, notamment administratifs.
Ce financement transitoire n’empêchera pas un grand débat sur le sujet avec la révision complète de la loi, mise en consultation en juin 2023…
Effectivement. Et cela pousse le parlement à intégrer dans les débats actuels les différents scénarios envisagés pour la suite: faut-il conserver plusieurs communautés de références [fournisseurs du DEP, ndlr] ou une seule pour l’ensemble du pays, voire une par région linguistique? Les cantons doivent-ils laisser le libre choix à leurs citoyens ou leur imposer un fournisseur unique?
Ces aspects font encore débat parce qu’ils vont préfigurer ce qu’on retrouvera dans la future loi. Et si c’est le choix du fournisseur monopolistique qui est fait, la Confédération devra prévoir des dédommagements pour les plateformes qui sont déjà actives actuellement.
Les deux seuls acteurs à pouvoir obtenir un tel monopole sont La Poste, qui fournit la technologie à la plupart des communautés de référence du pays, et les pharmaciens qui ont développé la leur avec Abilis. Quels sont les enjeux pour eux? La question de fond concerne surtout La Poste. Voulons-nous conférer cette tâche à une entreprise para-étatique et agissant avec les règles du secteur privé? Au parlement, une majorité se dessine pour dire non. A titre personnel, je pense que cette entreprise devrait régler les problèmes liés à ses différents mandats avant de se voir confier cette tâche.
Que le parlement la lui confie ou non, La Poste est déjà active et omniprésente dans ce secteur en fournissant la technologie de base. Il faudrait donc repartir à zéro si l’Assemblée fédérale ne lui confiait pas cette tâche? En Suisse romande, c’est Cara qui gère le dossier électronique du patient sur mandat de cinq cantons. Ces derniers n’ont pas à négocier avec La Poste même si la technologie sous-jacente est développée par cette entreprise. Pour ces cantons, le partenaire, c’est Cara.
Mais dans plusieurs cantons alémaniques, La Poste fonctionne aussi comme fournisseur direct du DEP à travers la société d’exploitation Post Sanela Health SA.
Le dossier électronique du patient souffre aussi d’un manque de confiance de la part des professionnels de santé. Ne faudrait-il pas aussi les impliquer plus pour que l’outil prenne son envol?
Si, d’autant plus qu’il y a une forte opposition de leur part, principalement chez les médecins, à la mise en place des dossiers électroniques du patient. Je crois qu’en fait, on les a simplement oubliés dans la mise en oeuvre du DEP. Mais ils sont tout de même embarqués, voire contraints, de participer à un programme pour lequel ils ne sont pas rémunérés.
Ce n’est qu’en automatisant le téléversement de documents médicaux dans le DEP depuis les systèmes informatiques primaires des professionnels de santé qu’on arrivera à les convaincre. Idéalement, il faudrait concrétiser ce point le plus rapidement possible. Si on veut que le DEP se déploie plus rapidement, il faut tenir compte des besoins des soignants. ■