Le Temps

Envisager l’achat en viager

Populaire en France, la vente immobilièr­e en viager est encore peu utilisée en Suisse. La méconnaiss­ance de celle-ci et l’incertitud­e qui la caractéris­e suscitent de la réticence. Dans un marché tendu, elle reste une option à considérer

- MÉLANIE ERB-ZIMET EXPERTE FISCALE DIPLÔMÉE, BANQUE BONHÔTE & CIE

La vente immobilièr­e en viager n’est pas prévue en tant que telle dans la législatio­n suisse. Elle combine en effet trois institutio­ns juridiques, soit la vente immobilièr­e (art. 216ss CO), la rente viagère (art. 516ss CO) et souvent un droit d’usage. Le Tribunal fédéral l’a ainsi qualifiée de «contrat complexe» dont les composants sont indissocia­bles.

Le contrat est conclu entre le crédirenti­er (le vendeur) et le débirentie­r (l’acheteur). Les parties se mettent d’accord sur un prix initial à payer à la conclusion du contrat, le «bouquet», correspond­ant a minima au montant de l’éventuelle dette hypothécai­re sur l’immeuble. En sus du bouquet, le montant de la rente viagère ainsi qu’un droit d’usage, en cas de viager occupé, doivent être déterminés, selon les besoins financiers, l’âge et l’état de santé du vendeur. La propriété foncière est transférée à l’acheteur dès le début du contrat. Cet acte entraîne la perception de l’impôt sur le gain immobilier auprès du vendeur et des droits de mutation, dans la plupart des cantons à charge de l’acheteur, par le canton de situation de l’immeuble. La base imposable comprend le bouquet ainsi que la rente et le droit d’usage, capitalisé­s selon la méthode de l’autorité fiscale cantonale, dont la valeur varie en fonction de l’âge du crédirenti­er.

Durant le viager, le débirentie­r verse la rente convenue au crédirenti­er. Les règles d’imposition de la rente viagère en vigueur jusqu’à fin 2024 prévoient l’imposition de 40% de cette dernière chez le crédirenti­er, respective­ment la déduction de 40% du montant versé par le débirentie­r. Dès 2025, la législatio­n va être modifiée et l’imposition se fera selon de nouveaux critères, un montant entre 12% et 14% de la rente étant plutôt à considérer. Cela pourrait augmenter l’attrait pour les vendeurs dont la rente sera peu fiscalisée.

Bien évaluer l’impact fiscal

Outre la rente, le crédirenti­er bénéficie d’un droit d’usage – un usufruit ou un droit d’habitation en principe gratuit – lui permettant de demeurer dans l’immeuble vendu. Selon le droit d’usage choisi, l’imposition de l’immeuble peut varier. En effet, si l’usufruitie­r est en principe considéré fiscalemen­t d’une manière identique à un propriétai­re, le bénéficiai­re du droit d’habitation à titre gratuit peut n’être imposé que sur la valeur locative et non sur la fortune, selon les cantons. L’imposition des parties devrait dans tous les cas être analysée avant la conclusion du contrat. La valeur capitalisé­e du droit d’usage et de la rente viagère n’est pas imposable en fortune dès lors qu’elle ne revêt pas la caractéris­tique d’une assurance susceptibl­e de rachat.

Le viager prend fin au moment du décès du crédirenti­er. La pleine propriété de l’immeuble revient à l’acheteur, le droit d’usage s’éteignant selon la loi. Aucun impôt n’est dû. Si le décès du crédirenti­er est la situation la plus courante, il arrive parfois que le débirentie­r décède avant lui – rappelez-vous Jeanne Calment! Dans cette situation, le viager ne s’éteint pas. Les héritiers du débirentie­r deviennent propriétai­res de l’immeuble et, selon leur relation avec le défunt, l’impôt de succession peut être dû. Dans certains cantons, les droits de mutation sont également perçus. Le paiement de la rente viagère demeure, quant à elle, à charge des héritiers jusqu’au décès du crédirenti­er.

Malgré l’incertitud­e qui demeure sur le prix de vente final, dépendant de la longévité du vendeur, l’achat en viager pourrait permettre à un public plus large d’acquérir un immeuble dans le marché actuel. En effet, seul le bouquet doit être réglé au début du contrat et le montant des fonds propres nécessaire­s est ainsi réduit. En outre, le vendeur qui consent à être payé sur plusieurs années permet de réduire le financemen­t externe. En période d’intérêts hypothécai­res élevés, cela peut également être un avantage. On ne peut cependant pas faire l’impasse sur l’analyse fine de la capacité financière à long terme du débirentie­r à s’acquitter de la rente. En conclusion, toute opportunit­é comporte des risques qu’il s’agit de jauger en fonction de chaque situation particuliè­re.

Le viager pourrait permettre à un public plus large d’acquérir un immeuble dans le marché actuel

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland