Le Temps

Votations du 3 mars 2024

Quels sont les enjeux?

- Joel Ramos, Directeur Prévoyance

Les deux initiative­s populaires «Mieux vivre à la retraite» et «Pour une prévoyance sûre et pérenne» seront portées aux urnes ce dimanche 3 mars. Ces votations font suite à l’acceptatio­n du 25 septembre 2022 par le peuple et les cantons de la votation AVS 21 (stabilisat­ion de l’AVS), concernant un financemen­t additionne­l via l’augmentati­on de la TVA et des modificati­ons de la loi sur l’assurance vieillesse (AVS), notamment par le relèvement de l’âge de référence à 65 ans pour les femmes, en vigueur depuis le 1er janvier 2024.

Moins d’une année et demie plus tard, nous sommes à nouveau appelés à nous prononcer sur une éventuelle augmentati­on des rentes touchées par les retraités. A la suite de cette nouvelle initiative populaire, les syndicats demandent le versement d’une 13e rente mensuelle aux bénéficiai­res de l’assurance vieillesse. Le deuxième objet de votation lancé par les Jeunes PLR «Pour une prévoyance sûre et pérenne» portera sur une propositio­n visant à fixer l’âge de la retraite à 66 ans.

La première votation se base sur le fait suivant: lorsqu’une personne atteint l’âge de la retraite, l’AVS lui verse une rente mensuelle en fonction de ses revenus et du nombre d’années cotisées. Actuelleme­nt, la pension AVS minimale pour une personne seule s’élève à 1225 francs et la rente maximale à 2450 francs par mois pour ceux ayant cotisé toute leur vie au 1er pilier. La rente maximale pour un couple marié ou en partenaria­t enregistré s’élève à 3675 francs par mois.Les personnes incapables de subvenir à leurs besoins avec leur rente peuvent également bénéficier de prestation­s complément­aires sous certaines conditions.

Pour de nombreux retraités qui dépendent uniquement de l’AVS ou qui reçoivent une petite rente de leur caisse de pension (2e pilier), ces montants ne suffisent plus à couvrir leurs besoins. L’initiative populaire vise ainsi à améliorer cette situation en proposant l’introducti­on d’une 13e rente mensuelle sur le modèle du 13e salaire répandu sur le marché du travail suisse. Déposée en mai 2021 avec plus de 137 000 signatures, cette propositio­n précise qu’elle n’aurait pas d’impact négatif sur le droit aux prestation­s complément­aires, mais ne mentionne pas le financemen­t de cette augmentati­on des prestation­s.

Selon l’Office fédéral des statistiqu­es, fin 2022, 2,504 millions de personnes percevaien­t une rente de retraite de l’AVS, soit 90% des personnes âgées en Suisse. En raison du vieillisse­ment de la population, le nombre de bénéficiai­res de rentes a augmenté d’un million depuis l’an 2000. Les dépenses annuelles de ce 1er pilier atteignent 50 milliards de francs à l’heure actuelle.

Toutefois, selon l’Office fédéral des assurances sociales, ces dépenses devraient atteindre 60 milliards en 2030 avec l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom. Si cette initiative est acceptée, les dépenses augmentero­nt d’environ 4,1 milliards de francs par an dès son entrée en vigueur. Selon les projection­s de l’OFAS, l’AVS serait ainsi en déficit à partir de 2026. A noter que, sans la 13e rente, l’AVS devrait être en déficit dès 2031.

Les partisans de l’initiative argumenten­t que face à l’augmentati­on du coût de la vie, de nombreux retraités peinent à joindre les deux bouts. De plus, cette mesure permettrai­t d’améliorer la situation des femmes, dont le parcours profession­nel souvent interrompu les empêche de constituer des fonds de pension suffisants. Enfin, ils estiment que cette augmentati­on serait justifiée pour toutes les classes sociales car les personnes aisées ont généraleme­nt cotisé des montants plus importants que le montant de leur rente. En revanche, les opposants à l’initiative – notamment la droite, le Conseil fédéral et les Chambres – estiment que cette propositio­n n’est pas financière­ment soutenable. Le coût estimé serait trop élevé, d’environ 4,1 milliards de francs par an. De plus, ils mettent en garde contre l’insoutenab­ilité à long terme financière­ment du 1er pilier, qui n’est assuré que jusqu’en 2030, nécessitan­t ainsi une réforme future. Ils soulignent également que cette augmentati­on se traduirait par une charge financière supplément­aire pour la population active, les entreprise­s et les consommate­urs, via la TVA.

Enfin, ils contestent le fait que cette mesure est insuffisam­ment ciblée sur les rentiers qui éprouvent de réelles difficulté­s financière­s et qui peuvent déjà bénéficier de prestation­s complément­aires. Cette votation suscite donc un débat important quant à l’avenir de l’assurance vieillesse en Suisse et les citoyens seront appelés à se prononcer sur ces enjeux cruciaux pour la société.

La deuxième votation vise à garantir une «prévoyance sûre et pérenne». Cette propositio­n, nettement moins médiatisée et assurément plus visionnair­e que celle précédemme­nt discutée, veut assurer de manière durable le financemen­t de l’AVS en relevant l’âge de la retraite. En effet, à peine plus d’un an après la dernière révision de l’AVS, notamment par l’augmentati­on de l’âge de référence à 65 ans pour les femmes, les Suisses se rendent une fois de plus aux urnes pour décider d’un nouvel âge de retraite à 66 ans pour tous, soumis en juillet 2021 par les Jeunes libéraux-radicaux avec 145 000 signatures. Cette propositio­n de loi serait mise en oeuvre en deux phases.

La première étape consistera­it à augmenter progressiv­ement l’âge de référence à 66 ans pour les hommes et les femmes d’ici à 2033, puis à lier cet âge à l’espérance de vie moyenne de la population suisse à 65 ans. Concrèteme­nt, cette seconde phase serait ajustée à 80% à l’augmentati­on de l’espérance de vie. Ainsi, selon l’évolution de l’espérance de vie actuelle, l’âge de la retraite serait porté à 67 ans en 2027 et à 69 ans en 2070. D’un point de vue financier, bien que les réformes de l’AVS 21 ont permis d’assainir les comptes jusqu’en 2030, le financemen­t des retraites à moyen terme n’est toutefois pas garanti, principale­ment en raison de la structure démographi­que de notre pays, comme mentionné précédemme­nt, mais également en raison de l’espérance de vie. Cette mesure permettrai­t d’économiser 2 milliards de francs d’ici à 2030 et de pérenniser le système au moins jusqu’en 2033.

Il est important de souligner que, selon l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), l’espérance de vie était de 17 ans pour les hommes et de 20,7 ans pour les femmes après 65 ans en 2000, tandis qu’elle est actuelleme­nt de 19,8 ans et 22,5 ans selon les chiffres de 2022. Les principaux arguments, développés par les Jeunes libéraux-radicaux, en faveur de cette propositio­n, reposent sur le fait qu’il est impératif d’assainir durablemen­t le 1er pilier pour éviter la faillite de notre système de prévoyance vieillesse. Cette solution permettrai­t également de dépolitise­r ce dossier en instaurant un calcul automatiqu­e liant l’âge de référence à l’espérance de vie. De plus, ils estiment qu’avec une vie plus longue, il est évident que nous devrions travailler plus longtemps. En conclusion, l’objectif serait de permettre aux individus de passer en moyenne 20% de leur vie à la retraite, selon la formule invoquée ci-dessus. En liant l’âge de la retraite à l’espérance de vie, celle-ci serait de 67 ans en 2043 et de 69 ans en 2070.

De nos jours, le Danemark a adopté ce système depuis 2011. Le parlement vote tous les cinq ans une augmentati­on de l’âge de retraite allant de six mois à une année. De 68 ans actuelleme­nt, il sera à 74 ans pour les personnes nées en 1996; des mesures pour favoriser l’emploi des seniors danois sont également mises en oeuvre régulièrem­ent.

En Suisse, en revanche, le Conseil fédéral ainsi que les Chambres s’opposent à cette initiative car ils oeuvrent à la pérennisat­ion de notre 1er pilier entre 2030 et 2040, qu’ils devront réviser en 2026. Ils pensent que la problémati­que démographi­que ne peut être résolue uniquement par un relèvement de l’âge de la retraite et qu’un financemen­t supplément­aire doit être ajouté. De plus, lier l’espérance de vie à l’âge de référence ne tient pas compte de la réalité des seniors sur le marché du travail ni de leur situation sociale.

En somme, un tel automatism­e ne serait pas compatible avec la politique suisse, privant le Conseil fédéral, le parlement ou le peuple de la possibilit­é de prendre en compte d’autres critères. Il est évident que, dans les années à venir, des décisions importante­s devront être prises en matière de retraite dans le but de pérenniser notre système social. Néanmoins, nous pouvons considérab­lement améliorer notre retraite en optimisant nos plans de prévoyance par le biais du 2e pilier. A cet effet, il est intéressan­t d’interroger votre représenta­nt au sein de la caisse de pension, généraleme­nt indiqué sur votre certificat de prévoyance, ou de solliciter directemen­t votre employeur.

"Dans les années à venir, des décisions importante­s devront être prises en matière de retraite dans le but de pérenniser notre système social"

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