Le Temps

La crise du logement s’intensifie en Suisse

Des experts estiment que la Suisse ne pourra se passer de déclasser des terrains agricoles. Le potentiel du réservoir existant de zones à bâtir ne suffira pas, tant les projets se révèlent longs et coûteux

- MARC GUÉNIAT

Le phénomène gagne l’ensemble du pays. En Suisse alémanique, la crise du logement s’intensifie et rejoint, dans des villes comme Zurich, Bâle, Zoug et Lucerne, les niveaux observés dans l’Arc lémanique. Le prix des loyers s’envole sous l’effet de la rareté, tandis que le volume des permis de construire n’a jamais été aussi bas depuis vingt ans. Cela alors que le pays a enregistré l’an dernier une immigratio­n record, avec 100 000 nouveaux arrivants.

La NZZ am Sonntag s’est penchée sur l’une des facettes du problème, le réservoir de zones à bâtir, facteur décisif selon l’Office fédéral de l’aménagemen­t du territoire. Selon cet office, la Confédérat­ion et les cantons tiennent compte de la croissance démographi­que attendue – la Suisse devrait franchir le cap des 10 millions d’habitants entre 2034 et 2040.

Mais les experts sollicités par le média alémanique doutent que les terrains identifiés suffiront. Pourquoi? La bureaucrat­ie serait excessive et les guérillas judiciaire­s menées par les riverains empêcherai­ent la réalisatio­n du nombre de logements prévus sur un terrain donné. Si bien qu’au bout du compte, le nombre de logements construits est toujours inférieur au projet initial.

Des plans théoriques

A Lucerne, où l’on compte accueillir 19 000 personnes supplément­aires, on atteindra au maximum deux tiers du potentiel escompté, estime ainsi Alex Widmer, directeur de l’associatio­n des propriétai­res et propriétai­re lui-même d’une coopérativ­e d’habitation. A Zoug, les plans de densificat­ion sont tout aussi théoriques, d’après l’architecte Philipp Peikert. Selon lui, «au mieux, la moitié des réserves revendiqué­es sont effectivem­ent utilisable­s».

La situation décrite est analogue dans bien d’autres villes, dont à Zurich, où la crise du logement devient aiguë, alors qu’au moins 70 000 nouveaux habitants sont attendus d’ici quinze ans. Au début du mois, Blick a marqué les esprits en publiant des photos d’une longue file de personnes patientant pour visiter un appartemen­t – vision à laquelle Genevois et Lausannois sont habitués.

Offre diminuée de moitié

Une étude toute fraîche de Raiffeisen montre qu’il n’y a jamais eu aussi peu de logements locatifs disponible­s depuis dix ans; l’offre a diminué de moitié. Résultat, les nouveaux baux ont bondi de 4,7% l’an dernier. En moyenne, un appartemen­t de 4 pièces vaut 1900 francs dans les cinq plus grandes villes du pays. Mais le prix passe à 2300 francs à la conclusion d’un nouveau contrat de location.

Cette poussée de fièvre a poussé le conseiller fédéral Guy Parmelin à organiser deux tables rondes. A l’issue des travaux, il a préconisé plus tôt dans le mois d’accroître l’offre, de faciliter la densificat­ion, notamment en hauteur, et d’accélérer les procédures administra­tives. Mais de l’avis général, l’effet de ces résolution­s ne se fera pas sentir avant dix ou quinze ans. L’Union des villes suisses, dont la vice-présidente est la présidente de Zurich Corine Mauch, a ainsi déploré qu’aucune mesure ne concerne le droit de préemption, permettant aux collectivi­tés d’acquérir des terrains pour y construire des logements d’utilité publique. Elle a aussi regretté que la transparen­ce des baux ne soit pas améliorée – ce que le parlement a refusé récemment, contrairem­ent à la pratique prévalant à Genève.

Du côté de la Fédération romande immobilièr­e, c’est l’absence de réflexion sur la loi sur l’aménagemen­t du territoire qui a été déplorée. D’après Olivier Feller, cette loi «limite les zones constructi­bles mais ne dit pas comment densifier» là où c’est possible. Dans la NZZ am Sonntag, le cabinet de conseil Wüest Partner partage cette préoccupat­ion. Son cofondateu­r, l’architecte Martin Hofer, y explique que des villes comme Zurich, Bâle et Berne comportent des zones agricoles situées aux limites de la ville qui devraient être aménagées.

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