Le Temps

Y a-t-il une solution diplomatiq­ue à la guerre d’Ukraine?

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

La conférence sur la formule de paix émise par le président Zelensky, que la Suisse veut organiser avant l’été 2024, ne sera pas destinée à instaurer la paix entre l’Ukraine et la Russie. Elle sera avant tout une manifestat­ion de solidarité avec l’Ukraine. Elle servira à consolider la coalition des pays qui soutiennen­t l’Ukraine autour des propositio­ns du chef de l’Etat ukrainien. Selon ce dernier, c’est dans une seconde étape que l’on présentera ces propositio­ns à la Fédération de Russie. Moscou considère que c’est au mieux un exercice futile, au pire un ultimatum.

Pour l’heure, peu de pays se sont ralliés à l’idée suisse de tenir une conférence sur les dix points de M. Zelensky. Deux débats ont eu lieu à l’ONU le 23 février dernier. Le conseiller fédéral Cassis a fait part à l’Assemblée générale de l’intention de la Suisse de convoquer une conférence sur la formule de paix, afin de réaffirmer les principes contenus dans la Charte de l’ONU, ce qui devrait mobiliser tous les Etats membres «du nord au sud et d’est en ouest» invités à y participer. Et dans un geste à la Kadhafi, il a brandi un exemplaire de la Charte, du haut de la tribune, mais sans l’ouvrir, ni la jeter à terre ou la déchirer comme l’avait fait son illustre prédécesse­ur en 2009… Il a réitéré son annonce peu après au Conseil de sécurité. Aucune délégation n’a repris ni même mentionné l’offre suisse. Cependant, le Danemark, au nom des Etats nordiques, a apporté son soutien à la formule de paix et au Sommet pour la paix voulus par le président Zelensky: il appartient à l’Ukraine seule de déterminer les paramètres de la paix à laquelle elle aspire, mais l’Ukraine ne peut pas à elle seule obtenir la paix à laquelle elle a droit. C’est pourquoi la formule de paix doit bénéficier du plus large soutien internatio­nal possible. «La Suisse estime que l’ONU étant paralysée du fait du veto russe au Conseil de sécurité, elle se doit de contribuer à la paix en prenant elle-même les choses en main. Doit-elle pour autant paraître se substituer à l’ONU?»

A la différence des deux dernières années, le débat de l’Assemblée générale marquant le deuxième anniversai­re de l’invasion russe ne s’est pas conclu par le vote d’une résolution. Cent quarante pays avaient condamné l’agression russe et réclamé l’applicatio­n des principes de respect de l’indépendan­ce, de la souveraine­té et de l’intégrité territoria­le de l’Ukraine en 2022 et en 2023. Cette année, la même résolution aurait recueilli moins de suffrages, en particulie­r du côté des Etats arabes. L’Ukraine et ses amis ont préféré renoncer à soumettre un nouveau texte de condamnati­on plutôt que d’avoir à constater un affaibliss­ement de l’appui des Nations unies.

Plusieurs orateurs qui se sont exprimés au Conseil de sécurité ont rappelé la responsabi­lité unique de cet organe dans le maintien de la paix et de la sécurité internatio­nales. D’autres ont énoncé les règles d’une véritable négociatio­n: s’engager de bonne foi dans un arrêt des hostilités, puis rechercher avec l’aide d’un médiateur les bases d’un éventuel compromis. Ce médiateur pourrait être le secrétaire général de l’ONU, auquel le Conseil demandait le 6 mai 2022 de nommer un envoyé spécial pour explorer les chances d’un règlement pacifique. Le moment n’est certes pas encore propice à une telle mission, mais n’est-ce pas le rôle de M. Antonio Guterres d’agir le moment venu?

A la lumière de ce débat, la question se pose: faut-il vraiment chercher une solution à la guerre en Ukraine en dehors du cadre des Nations unies quand on prétend vouloir renforcer ces mêmes Nations unies? La Suisse est dans son élément quand elle défend et promeut le droit internatio­nal humanitair­e, comme elle avait su le faire en pleine guerre de Yougoslavi­e, en convoquant une réunion ministérie­lle à Genève (du 31 août au 1er septembre 1993) sur la protection des population­s civiles. Elle peut encore élargir la portée de sa conférence sur la formule de paix en faisant du dossier humanitair­e un aspect central de sa démarche, en ajoutant un «Swiss finish» au projet porté par l’Ukraine, de manière à le rendre plus acceptable à la communauté internatio­nale. ■

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