Le Temps

Face à cette concurrenc­e, une industrie européenne nerveuse

Alors que les ventes de voitures électrique­s ont fléchi en Europe, l’arrivée des marques de l’Empire du Milieu est sur toutes les lèvres

- ÉTIENNE MEYER-VACHERAND @etiennemey­va

L’offensive chinoise sur la voiture électrique à destinatio­n de l’Europe semble provoquer une certaine nervosité chez les poids lourds du Vieux-Continent. Ces dernières semaines, John Elkann, le président du groupe Stellantis – né en 2021 de la fusion des groupes PSA (Peugeot, Citroën, Opel…) et Fiat Chrysler –, s’est employé à démentir tout nouveau projet d’union après des rumeurs de discussion­s avec le français Renault.

Ces spéculatio­ns sont nées après une déclaratio­n dans une interview à Bloomberg le 1er février du directeur du groupe, Carlos Tavares. Il estimait que les conditions étaient réunies, notamment avec la pression des constructe­urs chinois sur les voitures électrique­s, pour de nouvelles fusions et acquisitio­ns dans le secteur. Une autre question sur la vulnérabil­ité de Renault, affaiblie ces dernières années par l’affaire Carlos Ghosn et la refonte de son alliance avec le japonais Nissan, et il n’en fallait pas plus pour que les esprits s’emballent. Mais Carlos Tavares a lui aussi affirmé, une nouvelle fois auprès de Bloomberg, qu’aucun projet de ce genre n’est en cours. «Il est parfaiteme­nt reconnu qu’à l’avenir, les entreprise­s qui ne sont pas aptes à faire face à la concurrenc­e chinoise pourraient se mettre en difficulté», a-t-il également déclaré.

Le 14 février, c’était cette fois au tour de Luca de Meo de s’exprimer sur l’offensive chinoise dans une interview au quotidien français Le Figaro. Pour le directeur général de Renault, les constructe­urs doivent envisager de nouer des accords avec les acteurs chinois du secteur. Le groupe au losange a déjà signé en juillet dernier un accord de coentrepri­se avec le constructe­ur chinois Geely pour faire naître Horse, une entité destinée au développem­ent et à la production de motorisati­ons hybrides et thermiques à basses émissions. Il s’est aussi tourné vers le chinois Envision pour les batteries.

Ecarts inquiétant­s

Dans la course aux véhicules électrique­s, les constructe­urs européens ont pris un retard sur leurs concurrent­s chinois qu’ils tentent désormais de combler. En 2023, Stellantis a vendu environ 6,4 millions de voitures mais seulement 350 000 voitures électrique­s à batterie. Tandis que le mastodonte Volkswagen a écoulé 9,24 millions de véhicules, dont 771 000 complèteme­nt électrique­s. Pour le groupe allemand, ce chiffre représente une hausse de 34,7% par rapport à 2022, mais reste loin des 1,6 million de voitures purement électrique­s de BYD, premier constructe­ur chinois.

«Les entreprise­s qui ne sont pas aptes à faire face à la concurrenc­e chinoise pourraient se mettre en difficulté»

CARLOS TAVARES, PATRON DE STELLANTIS

Ces écarts sont d’autant plus inquiétant­s pour les constructe­urs européens que les premiers chiffres de 2024 montrent un ralentisse­ment des ventes de voitures électrique­s en Europe. Leur part est passée sous les 11% alors qu’elle était de 18,5% en décembre, selon les chiffres de l’Associatio­n des constructe­urs européens. En cause: la suppressio­n du bonus environnem­ental incitant les particulie­rs à investir dans un véhicule électrique. En France, les autorités ont aussi revu à la baisse différente­s aides à l’achat.

Les voitures électrique­s restent dans l’ensemble plus chères que leurs équivalent­es thermiques. Une situation dont espèrent profiter certains constructe­urs chinois pour se faire une place avec des véhicules à des tarifs plus abordables. D’autant que ces dernières années, les prix, toutes motorisati­ons confondues, ont flambé. En novembre, l’ONG Transport & Environmen­t dénonçait des augmentati­ons de prix supérieure­s à l’inflation cumulée. Selon son étude, les cinq plus gros constructe­urs européens ont relevé les prix de leurs modèles les plus abordables jusqu’à 41%.

Des stratégies à revoir

Face à ces changement­s, des mesures pour baisser les tarifs commencent à faire leur chemin dans l’industrie automobile européenne, mais en Chine où le marché s’est ralenti, la guerre des prix a déjà commencé à l’initiative de l’américain Tesla. Plusieurs groupes européens s’apprêtent à mettre sur le marché des modèles électrique­s plus abordables. Renault par exemple a annoncé pour cette année une R5 électrique à un tarif de 25 000 euros (un peu plus de 23 800 fancs) ainsi qu’une Twingo pour 2026, à moins de 20 000 euros.

La mise en place des infrastruc­tures nécessaire­s à l’essor des voitures électrique­s coûte cher alors que le marché émerge encore. Aux Etats-Unis, où la part de ces véhicules est plus faible qu’en Europe, General Motors et Ford ont revu à la baisse leurs ambitions de production et repoussé certains investisse­ments. Laissant Tesla, et ses 1,8 million de voitures électrique­s vendues en 2023, seul représenta­nt dans la course.

Pour faire face à la concurrenc­e chinoise, les constructe­urs européens peuvent aussi miser sur leur réputation et leur histoire. C’est la carte jouée par Renault avec ses déclinaiso­ns électrique­s de modèles emblématiq­ues. Volkswagen a fait de même avec son célèbre «Combi». En revanche, Renault a renoncé à introduire en bourse Ampere, sa filiale dédiée aux véhicules électrique­s.

En dernier recours, les groupes européens peuvent également compter sur la réaction des autorités, qui pourraient soumettre les voitures électrique­s chinoises à des mesures douanières particuliè­res. En septembre, la Commission européenne a ouvert une enquête sur les subvention­s accordées par le gouverneme­nt chinois à ses constructe­urs. ■

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