En Cisjordanie, une démission en prémices à des réformes
PROCHE-ORIENT Après le départ du premier ministre Mohammad Shtayyeh, les factions de l’Autorité palestinienne se réuniront à Moscou en vue d’un possible gouvernement d’unité. Dans les coulisses, un nom revient: celui de l’économiste et homme politique Mohammad Mustapha
La rumeur courait déjà depuis quelques jours. Des bruits de couloir, tout au plus, mais l’impression de quelque chose qui se trame dans les coulisses. Il aura fallu attendre hier pour l’officialisation: celle de la démission du premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh et de son gouvernement. «J’ai présenté la démission du gouvernement à Monsieur le Président Mahmoud Abbas le 20 février et je la remets aujourd’hui par écrit», a-t-il déclaré, devant un parterre de journalistes. Une démission «à la lumière de ce à quoi notre peuple, notre cause palestinienne et notre système politique sont confrontés: ces évolutions politiques, sécuritaires et économiques liées à l’agression des Palestiniens dans la bande de Gaza, à l’escalade sans précédent en Cisjordanie et dans la ville de Jérusalem». Les mots du premier ministre palestinien sont forts, mais l’annonce de sa démission est loin d’avoir fait l’effet d’un séisme politique.
Pur produit des Accords d’Oslo, où il négocia dès la conférence de Madrid le volet développement, Mohammed Shtayyeh, 66 ans, sourcils circonflexes et moustache drue, avait cet atout de présenter un profil rassurant pour la communauté internationale. Un passé lisse, moins rugueux que les anciens du Fatah et une position d’équilibriste qui tenait grâce à son charisme et sa fine connaissance des rouages de l’aide humanitaire.
Mais pour la quasi-totalité des Palestiniens, il incarnait surtout le «système». «S’il a démissionné, ce n’est pas vraiment avec une volonté de lâcher le navire ou d’enfoncer l’Autorité palestinienne: c’est quelqu’un de loyal», analyse Xavier Guignard, membre du centre de recherche indépendant Noria et spécialiste de la Palestine. «D’une certaine manière, cette démission du gouvernement est surtout une façon pour les caciques de l’Autorité palestinienne de montrer qu’ils sont prêts à répondre aux pressions qui leur sont faites, à savoir celles de devoir composer un gouvernement un peu plus inclusif et un peu plus technocrate, avant que tout le monde s’en aille.»
Experts apolitiques et exempts de corruption
Car depuis quelques mois, nombreux sont les pays qui plaidaient pour une véritable réforme de l’Autorité palestinienne: les Etats-Unis en premier lieu et quelques pays européens, suivis par les Emirats arabes unis. Leur idée? Qu’un gouvernement d’experts apolitiques et exempts de corruption prenne autorité en Cisjordanie mais aussi à Gaza, sous la bannière d’un Etat palestinien indépendant, qu’il commence avec l’aide de partenaires internationaux la reconstruction de l’enclave et prépare ensuite des élections générales – les premières depuis 2006. «C’est une manière de prouver qu’il y a une main sur le processus politique et déjà un début de réflexion sur l’après-Gaza», confie un diplomate européen.
Renouvellement inévitable
Pour la première fois, Mahmoud Abbas – président palestinien impopulaire, 88 ans et porté à bout de bras – a surtout l’oreille du président américain Joe Biden. Si la Maison-Blanche soutient Israël dans sa guerre contre le Hamas, elle appelle en même temps l’Etat hébreu à confier Gaza à une Autorité palestinienne «revitalisée» et «réformée». Mais même avec un nouveau gouvernement, le président élu en 2005 – pour un mandat censé durer quatre ans – ne réglera pas les problèmes de son Autorité. «Cela ne répond en aucun cas aux questions les plus urgentes du moment: celle d’un cessez-le-feu et celle de la représentativité et de la légitimité de l’Autorité palestinienne, poursuit Xavier Guignard. Le discours de Mohammad Shtayyeh est très juste. Mais si on va dans la logique des choses, cela appellerait à ne pas renouveler le gouvernement. Or, il est inévitable qu’il y en aura un.»
Conformément à la loi, l’actuel gouvernement se transforme désormais en un gouvernement provisoire et intérimaire jusqu’à la nomination d’un nouveau premier ministre. Ce qui peut prendre du temps et relance par ailleurs la course aux petits chevaux en vue de la succession du «raïs», une question aussi opaque que brûlante à Ramallah. Mais peu sont enclins à monter sur le ring pour le poste de premier ministre.
Dans les coulisses, un nom revient: celui de l’économiste et homme politique Mohammad Mustapha, à la tête du Fonds d’investissement palestinien, conseiller principal de Mahmoud Abbas pour les affaires économiques depuis son élection. «C’est un nom qui revient souvent chez les Américains dès lors qu’il est question de solution pour Gaza», confirme le diplomate européen. Ce mercredi, les factions palestiniennes se réuniront dans un premier temps à Moscou en vue d’un possible gouvernement d’unité. Il faut dire que le Hamas et le Fatah multiplient les contacts en vue d’une réconciliation, sans cesse repoussée depuis leur rupture, en 2007. «Mais cette démission n’a de sens que si elle intervient dans le contexte d’un consensus national sur les dispositions pour la prochaine phase», a d’ores et déjà averti Sami Abou Zouhri, un responsable du Hamas. ■