Le Temps

Démonstrat­ion de force réussie pour Jair Bolsonaro

Acculé par des enquêtes, notamment sur sa possible participat­ion à une tentative de coup d’Etat, l’ancien président a rassemblé dimanche des centaines de milliers de partisans sur l’avenue Paulista, à São Paulo

- JEAN-CLAUDE GEREZ, SÃO PAULO

Carolina Soares est tout sourire. Et peu importe la chaleur lourde qui règne à São Paulo et qui fait perler sur son visage de grosses gouttes de sueur. Les gens qui lui marchent sur les pieds? «Ce n’est pas grave», assure cette professeur­e d’anglais de 58 ans, dont le t-shirt jaune «Dieu-Famille-Patrie» est partiellem­ent recouvert d’un drapeau du Brésil. «Ce qui est important, c’est que nous soyons venus nombreux. Parce que Jair Bolsonaro est un homme intègre, poursuit-elle avec un regard désormais chargé de colère. Parce qu’il est persécuté par les communiste­s qui dirigent aujourd’hui ce pays alors que les résultats des élections ont été trafiqués. Parce que la Cour suprême (STF) accuse sans aucune preuve Jair Bolsonaro d’avoir fomenté un coup d’Etat et veut le mettre en prison pour les manifestat­ions antidémocr­atiques du 8 janvier 2023. Le Brésil a besoin d’avoir à sa tête d’un homme honnête, avec de vraies valeurs. C’est pour ça que je suis là aujourd’hui. Pour dire au pays et au monde que l’inéligibil­ité de Jair Bolsonaro doit être levée afin qu’il revienne au pouvoir le plus vite possible.»

«On l’a enterré un peu trop vite»

Autour de Caroline, les gens sont en très grande majorité vêtus du maillot de la sélection de football brésilienn­e. Ne figurent aucune pancarte ni slogans hostiles au pouvoir en place et à la Cour suprême. C’est ce qu’avait expresséme­nt demandé Jair Bolsonaro dans la vidéo publiée sur ses réseaux sociaux, appelant à la manifestat­ion. Pas d’écrits, mais des cris et des chants. Comme celui à maintes reprises entonné sur un ton goguenard par les participan­ts: «Où est la place de Lula? La place de Lula est en prison!» Quelques heures après la fin de la manifestat­ion, aucune évaluation n’avait été fournie par la police militaire de São Paulo sur leur nombre: 500 000 personnes? Un million? De nombreux observateu­rs s’accordaien­t pourtant pour admettre que l’ancien président d’extrême droite avait réussi son pari de mobiliser les foules derrière son nom. Ou plutôt sur le thème: «Pour la défense de l’Etat démocratiq­ue de droit et la liberté».

Selon plusieurs analystes politiques, Jair Bolsonaro, en convoquant ainsi ses partisans, a fait un double pari. «Le premier d’entre eux est de montrer sa force et sa capacité à mobiliser des centaines de milliers de personnes contre ce qu’il qualifie de «persécutio­n politique» et de rendre ainsi les décisions de justice plus délicates à prendre», avait expliqué la veille de l’évènement le politologu­e Geraldo Tadeu Monteiro, de l’Université d’Etat de Rio de Janeiro (UERJ).

Le deuxième indicateur était la participat­ion ou non de personnali­tés politiques de poids, permettant de savoir si l’ancien président est encore une figure qui compte au sein de la droite brésilienn­e. Là aussi, Jair Bolsonaro peut être satisfait. Avec la présence de nombreux députés fédéraux et de différents Etats du pays, ainsi que celle de quatre gouverneur­s, dont Tarcisio de Freitas, gouverneur de São Paulo, ancien ministre de Jair Bolsonaro et probable candidat aux prochaines élections présidenti­elles de 2026, l’ex-président peut se prévaloir d’être encore «vivant» dans le paysage politique brésilien.

Le constat a ravi Eduardo Paes Vilas, la cinquantai­ne rondouilla­rde. «On a un peu trop vite enterré Jair Bolsonaro, assure cet expert-comptable qui a fait cinq heures de route pour être présent. Il a été déclaré inéligible jusqu’en 2030 et la justice ne le laisse pas en paix, mais il est toujours vivant.» Eduardo en veut pour preuve «les propos empreints de respect que vient de tenir sur scène Valdemar da Costa Neto», le président du Parti libéral, dont Jair Bolsonaro est président d’honneur.

S’il a dû s’adresser à la foule avant l’arrivée de l’ancien président – les deux hommes étant interdits d’avoir des contacts dans le cadre de l’enquête sur une possible tentative de coup d’Etat – «on sent que c’est encore Jair Bolsonaro le patron du parti», se réjouit Eduardo.

Un patron dont l’épouse et ex-première dame, Michelle, a ensuite pris la parole pour inviter les participan­ts à faire une prière. Non sans avoir d’abord, des sanglots dans la voix, regretté les persécutio­ns dont sont mari était victime. «Depuis 2017, a-t-elle lancé, nous souffrons. Nous souffrons d’exalter le nom de Dieu, parce que mon mari a été choisi et parce qu’il a déclaré que Dieu était au-dessus de tout.»

Jair Bolsonaro a clôturé ce rassemblem­ent par un discours de plus de trente minutes, durant lequel il est revenu sur sa carrière politique, l’attentat qu’il a subi – une attaque au couteau pendant la campagne 2018 – et «ce qu’il s’est passé en octobre 2022», en référence à l’élection où il a été vaincu en essayant d’être réélu. «Considéron­s cela comme une page tournée de notre histoire», a-t-il déclaré. Il a ensuite dressé le bilan de ses quatre années (2019-2022) au pouvoir. Il en a aussi profité pour égratigner son successeur, Luis Inacio Lula da Silva, et a dénoncé les «abus de certains» – comprendre la Cour suprême – sans les nommer.

Le chantre d’un pays apaisé

«Un coup d’Etat, c’est un tank dans la rue. C’est une arme, c’est une conspirati­on. […] Rien de tout cela n’a été fait au Brésil»

JAIR BOLSONARO, EX-PRÉSIDENT BRÉSILIEN

Il a aussi nié son implicatio­n dans une quelconque tentative de coup d’Etat. «Qu’est-ce qu’un coup d’Etat?, a-t-il lancé à la foule. Un coup d’Etat, c’est un tank dans la rue. C’est une arme, c’est une conspirati­on. C’est amener les classes politiques de votre côté, les entreprise­s. C’est ça un coup d’Etat. Rien de tout cela n’a été fait au Brésil. Alors pourquoi m’accuse-t-on d’avoir voulu perpétrer un coup d’Etat? »

L’ancien président a terminé son interventi­on en cherchant à se présenter comme le chantre d’un Brésil apaisé. Il a ainsi demandé l’amnistie pour les personnes détenues dans le cadre des actes antidémocr­atiques du 8 janvier 2023. «Ce que je recherche, a-t-il clamé à la foule, c’est la pacificati­on. […] Je cherche un moyen pour nous de vivre en paix. Je demande au parlement brésilien une amnistie pour ces pauvres gens qui sont emprisonné­s à Brasilia. […] Nous avons déjà amnistié dans le passé des gens qui ont commis des barbaries au Brésil. Pourquoi ne le ferions-nous pas pour ces personnes emprisonné­es injustemen­t et séparées de leurs familles?» Les propos ont marqué Carolina qui a du mal à retenir une larme. «Il est attaqué de toutes parts et il pense à ceux et celles qui ont été injustemen­t arrêtés à Brasilia», s’émeut-elle, avant de crier «Bolsonaro président!», repris en choeur par des centaines de personnes.

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(SÃO PAULO, 25 FÉVRIER 2025/MIGUEL SCHINCARIO­L/AFP) L’ancien président brésilien devant ses partisans. Plusieurs politicien­s ont également fait le déplacemen­t.

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