La NASA s’obstine dans la course aux échantillons martiens
Après des rapports pointant d’importants surcoûts, l’agence américaine en tension budgétaire a licencié plus de 500 employés. Le but: serrer la vis pour mener cette mission à bien, face à des intérêts scientifiques indiscutables et à une compétition politique
Lorsque Perseverance s’est posé sur Mars en 2021, cela semblait signer le début d’une grande aventure: récupérer enfin des échantillons martiens pour les analyser sur Terre. Une vieille aspiration envisagée dès la conquête spatiale soviétique, pleine d’espoir dans les années 1970, et que le rover américain allait pouvoir concrétiser avec la mission Mars Sample Return (MSR). Objectif: préparer des échantillons stockés au sol en attendant un autre véhicule pour venir les récupérer.
Et pourtant, le rêve apparaît encore aujourd’hui lointain, voire fragile. Dès 2020, la NASA réunissait un panel indépendant confirmant que le coût de 3 milliards de dollars de la mission était certainement sous-évalué et qu’il faudrait compter plutôt 4,4 milliards… Puis la douche froide à nouveau en septembre 2023 avec un autre rapport qui évalue une mission à 9 milliards de dollars, tout en précisant que cela pourrait être encore une estimation à la baisse.
Autant d’éléments qui font craindre une remise en cause du projet, sans parler pour l’instant d’annulation pure et simple. «C’est une mission qui reste ultra-prioritaire, assure François Forget, directeur de recherche en astrophysique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), à Paris. Elle survivra d’une manière ou d’une autre, mais actuellement, s’il s’agit de la retarder, il va falloir trouver une alternative!»
Il faut dire que le timing n’est pas idéal pour la NASA, loin de là… Alors que les élections présidentielles approchent, l’agence devra s’adapter selon les priorités du futur gouvernement. En attendant, le Congrès et le Sénat
«Pour nous, les scientifiques, peu importe quelle nation ramène les roches, du moment que nous les avons»
SYLVIA EKSTRÖM, ASTROPHYSICIENNE À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
coupent les vivres, jusqu’à obliger l’agence à licencier plus de 500 personnes au JPL (Jet Propulsion Laboratory), soit 8% des employés. Dans le même temps, l’ambitieux programme Artemis vers la Lune voit ses coûts exploser également, avec un budget qui dépasse les 94 milliards jusqu’à 2025.
«Un grand pas en avant» pour le monde scientifique
L’ensemble des volontés politiques, économiques et scientifiques doivent coexister malgré une course contre la montre qui nuit à la mission martienne. Dans le scénario actuel, Perseverance doit aider à charger les échantillons récoltés dans une petite fusée qui décollera en orbite, avant d’être récupérée par un autre vaisseau et de partir en direction de la Terre. «Ceci implique que Perseverance soit encore en vie, précise Nicolas Mangold, géologue spécialiste de Mars à l’Université de Nantes. Mais si ça se produit dans dix ans, on ne peut pas en être sûr! Il faut donc prévoir autre chose, imaginer un report, et donc d’éventuels surcoûts encore une fois.»
Pour résumer, faut-il poursuivre une mission coûteuse, en pleine crise budgétaire? La réponse politique n’est pas simple, mais du côté des scientifiques, le jeu en vaut la chandelle. «Cela en vaudra toujours la peine, assure Sylvia Ekström, astrophysicienne au département d’astronomie de l’Université de Genève. Analyser le sol martien en laboratoire sera un grand pas en avant. L’horizon des possibles est beaucoup plus large sur Terre qu’avec un rover sur Mars qui a des capacités limitées.»
Il faut dire que cette étape est indispensable avant de pouvoir envisager des voyages habités vers Mars. Des projets durant lesquels il faudra avoir bien évalué la dangerosité du terrain. Sylvia Ekström poursuit: «Dans une vision à long terme, on veut savoir quelles sont les propriétés des matériaux. Pourrons-nous creuser? Construire des maisons en régolite? Pour savoir cela, des analyses à distance ne suffiront pas.»
Nicolas Mangold attend aussi beaucoup des futurs échantillons. «Actuellement, nous savons dater les cratères les uns par rapport aux autres, mais nous ne connaissons pas leur ancienneté véritable. Des échantillons vont remettre les compteurs à zéro. On pourra aussi comprendre l’évolution de Mars, son histoire ancienne. Cela nous donnera également un aperçu de ce à quoi ressemblait une planète il y a plusieurs milliards d’années. Nous n’avons pas de traces de cette époque, même sur Terre.»
Sans oublier la question que tout le monde se pose: ces échantillons pourraient-ils ramener des traces d’une vie ancienne sur Mars? «Posséder des échantillons stériles est le meilleur moyen pour en trouver, assure Sylvia Ekström. Au moins il n’y a pas le risque qu’un humain contamine la planète avant qu’on ne puisse déterminer si elle a été habitée par le passé.»
Pour Caroline Freissinet, spécialisée en astrochimie au Laboratoire atmosphères et observations spatiales (Latmos), l’espoir est toutefois très faible: «La mission a été vendue ainsi, y compris au sein de la communauté scientifique, mais c’est une erreur! La surface est stérile, il n’y aura aucune trace de vie, même indirecte. Perseverance ne possède pas les outils adéquats pour savoir exactement où creuser et, à moins d’un immense coup de chance, nous ne trouverons que des traces de chimie simple.»
Malgré tout, la chercheuse est d’accord pour affirmer que les intérêts scientifiques de la mission sont capitaux: «C’est indiscutable, 500 grammes de sol martien, ce serait la porte ouverte à d’incroyables découvertes, et la mission en vaut largement la peine, y compris en retirant la dimension exobiologique.»
Quelle collaboration avec la Chine?
Les apports scientifiques d’un retour d’échantillon américain pourraient, par ailleurs, être remis en cause par la perspective d’une mission chinoise, dont les projets semblent très avancés. «Pour nous, les scientifiques, peu importe qui ramène les roches du moment que nous les avons, affirme Sylvia Ekström. Bien sûr, les nations qui payent veulent être les personnages principaux, mais côté science, cela n’a pas d’importance.» Selon Caroline Freissinet, les choses ne sont toutefois pas si simples: «Si cela avait été n’importe quelle autre nation, pourquoi pas. Mais avec la Chine, nous ne sommes pas sûrs d’avoir accès aux données scientifiques, nous n’avons pas de collaboration certaine. Sans compter le fait que nous ne savons pas du tout où ils en sont réellement, on ne peut pas vraiment compter sur cette option.»
Autre réserve: le profil de mission n’est pas aussi élaboré. Il s’agirait, a priori, de se poser, prendre des roches, et repartir, sans qu’une sélection soit réalisée – comme avec Perseverance – pour ramener des produits diversifiés. «Ce n’est pas aussi bien pensé que Mars Sample Return, considère Nicolas Mangold. L’existence de cette mission pourrait cependant motiver les Américains à financer davantage MSR… Même si ce n’est pas une motivation très saine.»
■