Le Temps

Meyer Burger ou le déclin de l’empire industriel européen

L’annonce de la fermeture du site allemand du fabricant bernois de panneaux photovolta­ïques tombe comme un coup de semonce pour l’UE, alors que les constructe­urs automobile­s chinois lorgnent le marché européen

- ALINE BASSIN @bassinalin­e

Pourquoi se préoccuper du destin d’une entreprise de quelque mille employés dont le siège est perdu au fin fond du canton de Berne et qui ne vaut plus «que» 295 millions de francs à la bourse suisse? Parce qu’à elle seule, Meyer Burger concentre tous les défis et les enjeux auxquels l’industrie européenne fait face. Parce qu’elle en incarne les affres et les limites.

La confirmati­on vendredi de la fermeture de son usine allemande de Freiberg, près de Dresde, sonne un inquiétant signal d’avertissem­ent pour l’Union européenne et la Suisse. Elle équivaut à un aveu économique alarmant. La conclusion que même dans le très dynamique marché du solaire, même avec un produit innovant jugé plus performant, les entreprise­s européenne­s n’arrivent pas à régater lorsqu’elles sont confrontée­s au protection­nisme et à l’interventi­onnisme de la Chine et des Etats-Unis.

Le vent dans les voiles

Pourtant, de l’argent public, l’entreprise basée à Thoune en a aussi un peu profité. Directemen­t ou indirectem­ent. Elle a misé sur une technologi­e développée au CSEM (Centre suisse d’électroniq­ue et de microtechn­ique) à Neuchâtel, une société de recherche et de développem­ent soutenue par les pouvoirs publics. Elle comptait surtout sur des deniers publics allemands pour monter en puissance, condamnée à faire du volume pour atteindre la rentabilit­é.

Il y a trois ans, la réouvertur­e en grande pompe du site de Freiberg avait fait événement. Au début des années 2010, l’usine avait été laminée par la concurrenc­e chinoise. Le geste de Meyer Burger ne signifiait rien moins qu’une renaissanc­e.

Le «momentum» était venu

Il y a un an et demi, tous les voyants étaient donc au vert pour le groupe industriel qui a dû se réinventer maintes fois. Connu au XXe siècle pour ses machines destinées à l’horlogerie, il a ensuite fabriqué des scies à silicium que le marché du photovolta­ïque s’arrachait, avant que la concurrenc­e chinoise n’arrive à les égaler. Il y a quelques années, il s’est résigné à pivoter pour défier l’Empire du Milieu sur son propre terrain, celui des panneaux solaires. Pour ce faire, il a misé sur la technologi­e du CSEM, dite «à hétérojonc­tion». Plus coûteuse, mais à plus haut rendement.

Alors que l’Europe avait pris conscience de sa vulnérabil­ité énergétiqu­e, Meyer Burger était donc fin prêt pour renaître de ses cendres. Son «momentum» était venu, comme son patron Gunter Erfurt l’assurait au Temps à l’automne 2023. Sans flamboyer, le cours d’une action longtemps vouée aux gémonies reprenait du poil de la bête.

Avant de replonger. Très vite, les acteurs financiers ont compris combien il serait difficile d’orner l’industrie photovolta­ïque européenne de nouvelles lettres d’or. Entre l’Inflation Reduction Act de Washington qui soutient les énergies vertes «made in America» et son protection­nisme qui pousse la concurrenc­e chinoise vers le continent européen plus ouvert, l’équation est rapidement devenue trop complexe pour Meyer Burger. Il a décidé de mettre le cap sur l’eldorado américain pour lui aussi bénéficier du parapluie protecteur de l’Oncle Sam.

Parviendra-t-il à rebondir au Colorado et en Arizona, là où il entend désormais concentrer sa production? Assistera-t-on à un inattendu coup de théâtre avec une interventi­on de dernière minute de Berlin ou de Bruxelles pour sauver une activité jugée stratégiqu­e? Impossible de le dire. Comme il est difficile de prédire combien de temps Meyer Burger gardera des activités de recherche et de développem­ent en Suisse, à des milliers de kilomètres de ses ateliers de production.

Une mission presque impossible

Le cas Meyer Burger mérite sa place dans les livres d’économie

Seule certitude: le cas Meyer Burger mérite sa place dans les livres d’économie. Il rappelle que l’histoire industriel­le est faite de phases d’ouverture commercial­e et d’autres de repli et de protection­nisme. Certaines entreprise­s arrivent à composer avec, à l’instar de nombreuses PME suisses qui trouvent des niches dans lesquelles elles se pelotonnen­t. D’autres espèrent mettre au point une innovation disruptive qui rebat totalement les cartes. Si ce cas de figure est bien plus rare, le Danois Novo Nordisk et son traitement contre l’obésité et le diabète l’illustre parfaiteme­nt.

Reste que créer ou même maintenir des géants économique­s dans un environnem­ent hypercompé­titif, marqué par des distorsion­s de concurrenc­e, relève d’une mission presque impossible. Une leçon à méditer pour Bruxelles et d’autres filières industriel­les. A commencer par celle de l’automobile, menacée de subir le même sort que Meyer Burger.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland