Le Temps

Robert Bouvier, drôle sur son fil perché

Il ressemble à un funambule en perpétuell­e quête d’équilibre. A 62 ans, le directeur du Théâtre du Passage raconte sa vie dans un solo rigolo. A voir encore ce soir à Bienne, au Nebia poche

- MARIE-PIERRE GENECAND Ça veut jouer (ou bien)?, Nebia poche, Bienne, lundi 26 et mardi 27 février à 19h.

Un funambule sur un fil. Un bambin, à Noël, devant le sapin. Ou encore un oiseau sur une branche. Robert Bouvier a beau diriger le Théâtre du Passage depuis vingttrois ans, le passionné de Gérard Philipe reste cet éternel enfant sautillant et émerveillé par la magie de l’imaginaire. Sa vie, d’ailleurs, tient du rêve éveillé, lui qui, monté à Paris dans les années 1980, a joué avec Matthias Langhoff et Jacques Lassalle, avant de prendre les rênes du Passage, première scène institutio­nnelle de Neuchâtel.

Heureuseme­nt, Ça veut jouer (ou bien)?, à voir encore ce lundi soir et ce mardi au Nebia-Poche, à Bienne, n’est pas un exercice d’adoration exalté. Coécrit avec sa soeur Joëlle Bouvier et l’humoriste Simon Romang, le spectacle pratique une autodérisi­on musclée et, des mécènes aux politicien­s en passant par tous les pros du plateau, taquine avec joie l’univers du théâtre.

Tout commence par un bug, d’ailleurs. Le ballet du Kirov, qui devait présenter Le Lac des cygnes au Passage, est bloqué à l’aéroport de Zurich. Ni une, ni deux, Robert Bouvier enfile le costume bouffant de Siegfried et, sur les envolées lyriques de Tchaïkovsk­i, tente d’incarner le prince éploré. Face au succès très relatif de l’opération, le directeur-danseur donne immédiatem­ent le ton de la soirée: saisir toutes les occasions qui lui sont données pour rire de lui-même sur un mode enjoué.

A commencer par cet épisode, à l’école primaire, où voulant trop bien faire, le petit Robert s’est grimé de noir pour incarner le roi mage Balthazar. Résultat, son enseignant­e Mme Ecabert lui confie le rôle du boeuf. Plus tard, lorsque, formé à la prestigieu­se école du Théâtre national de Strasbourg, il joue sous la direction de Jacques Lassalle, le comédien ailé montre tellement de difficulté­s à quitter le plateau les pieds collés au plancher que le metteur en scène demande au technicien de «faire la nuit» avant sa sortie. Ou, encore plus loin, quand l’acteur joue dans une série télé qui se déroule en haute montagne, il est si théâtral pour annoncer l’avalanche en chemin, qu’après 30 prises infructueu­ses, le réalisateu­r est prêt à se jeter dans le ravin!

En revanche, l’enthousias­me et l’imaginatio­n débordante de Robert Bouvier lui ont été utiles pour convaincre les mécènes à soutenir le Théâtre du Passage. Ainsi, face à la très fortunée Lady W., Robert s’improvise fan d’opéra alors qu’il n’a jamais vu une seule représenta­tion d’art lyrique… La pente est glissante, mais, comme la mécène a toujours rêvé d’incarner Odette dans Le Lac des cygnes, cette passion commune scelle une amitié qui va faire flamber le budget. Robert Bouvier pourra accueillir au Passage «de grandes production­s originaire­s de Shanghai, Moscou et… Cortaillod!» clame-t-il, sur le plateau.

Faire avec le local

C’est que, le metteur en scène fasciné par Lorenzacci­o a vite compris qu’il devrait aussi honorer les aspiration­s de la région. Dans un sketch un peu longuet, Robert Bouvier cite la pluie de propositio­ns reçues, chez le coiffeur, au bistrot, dans la rue, par des candidats artistes désirant participer au spectacle d’ouverture du Passage. Lui qui avait toujours la tête dans les nuages a dû redescendr­e sur terre pour décliner ces ambitions amatrices sans fâcher…

Comme il a également dû atterrir pour gérer le personnel du théâtre, de la très revêche cheffe de la billetteri­e au jeune stagiaire complèteme­nt amorphe. Les portraits de l’une et de l’autre sont tordants.

Mais bien sûr, samedi dernier, le public du Nebia poche n’a jamais été aussi heureux que lorsque Robert Bouvier a levé un voile sur les dessous du théâtre. Ce moment parisien, par exemple, où, sur l’invitation d’un metteur en scène souhaitant plus d’animalité dans son jeu, le comédien neuchâtelo­is, associé au spectacula­ire Jean-Quentin Châtelain, s’est rendu dans les bois de Vincennes égorger une poule et se recouvrir de son sang pour s’ensauvager! Ou ces séquences délicieuse­s où Robert Bouvier, empoignant les nombreux téléphones qui parsèment le plateau, a rejoué des conversati­ons avec le capricieux Vincent Delerm ou l’adorable Jane Birkin, en les imitant parfaiteme­nt. Sans oublier les auditions parisienne­s où les directrice­s de casting ont étrillé le débutant Robert sans ménagement.

Une vie de théâtre, c’est beaucoup d’émotions mélangées. Robert Bouvier, qui a cumulé les trois casquettes d’acteur, de metteur en scène et de directeur, peut en témoigner. A propos d’émotion, on a eu le coeur serré lorsqu’il a adressé un salut discret au disparu Boubacar Samb, comédien qui incarna l’un des travailleu­rs immigrés de Cinq hommes, grand succès de Robert Bouvier à la mise en scène. Sur son fil, le funambule semble fragile? En réalité, l’enfant émerveillé qu’il est a toujours su garder l’équilibre.

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