Meryl, une pirate rap à l’abordage
Après sa double nomination aux Victoires de la musique début février, la Martiniquaise de 28 ans poursuit sa conquête du rap français en portant haut et fort les couleurs créoles. Un bouillon musical dans lequel on plongera ce jeudi aux Docks de Lausanne
Le 9 février dernier, elle a débarqué sur la scène des Victoires de la Musique, quelque part entre la chanteuse pop Clara Ysé et l’hommage de Raphaël à Jean-Louis Murat. Baggy jaune poussin, énergie du diable, Meryl, nommée dans les catégories Révélation féminine et Révélation scène de l’année, interprète devant les caméras de France 2 son titre Jack Sparrow. Derrière elle, un phare balaie la salle. Le décor est planté: celui d’une pirate à l’abordage, entourée de sa fanfare de moussaillons caribéens – au programme, pas de quartier.
La conquête est double, lors de cette cérémonie où les «musiques urbaines», dixit les vieilles étiquettes, ont mis du temps à s’imposer, et où le rap est encore souvent un pur produit de l’Hexagone. Le bouillonnant Jack Sparrow est une déclaration à son île, la Martinique, entièrement chantée en créole. Meryl a beau être repartie sans prix, c’est un peu comme si elle avait tout gagné.
Prénom de rebelle
Impressions, quelques jours plus tard au bout du fil: «C’est cool d’être reconnue pour un travail que tu as fourni.» Mais l’air semi-blasé ne tient pas deux minutes. «En tant que minorité, on est toujours un peu plus fiers, on parle toujours un peu plus fort que les autres! Le combat est difficile, le chemin plus long quand tu es Noir et Français, encore davantage quand tu viens des Antilles.»
S’il est de bon ton de rapper d’où l’on vient, pour Meryl, c’est même un besoin. Celle qui s’offrira en mars le Zénith de Paris, après un passage aux Docks de Lausanne ce jeudi, ne rappellera jamais assez qu’elle a grandi à 6000 kilomètres de là, à Saint-Esprit. Une commune rurale au sud-est de Fort-de-France où elle baigne, enfant déjà, dans un bouillon musical. Celui d’un père mélomane, et d’un territoire qu’elle décrit comme un carrefour culturel. «En Martinique, nos radios sont branchées sur la France, mais on écoute aussi les sons de la Caraïbe, la soca, le dancehall, le zouk, le merengué, et tout ce qui vient de la terre mère, l’Afrique, sans oublier les Etats-Unis et l’Amérique latine. Notre musique ressemble à notre histoire, super riche et influencée par tous les horizons.»
Petite, Meryl préfère Céline Dion, Whitney Houston, ces chanteuses à voix qu’elle imite à la maison. Puis la vague hip-hop la saisit et, bientôt, elle rêve d’une carrière à la Chris Brown – le show, le bling, la grande vie. Ses parents grognent mais elle n’a aucun doute, le succès l’attend quelque part. Encouragée par son cousin, rappeur lui aussi, elle entre au studio adolescente. C’est là que Cindy devient Meryl, prénom emprunté à une camarade de classe du genre rebelle.
Sans mettre un pied dans une école de musique, elle a ce sens fou de la mélodie – «c’est de l’instinct» –, qu’elle met d’abord aux services des autres. En 2018, Meryl traverse l’Atlantique avec quelques euros en poche pour officier comme «toplineuse», sorte de ghostwriter qui compose des motifs mélodiques pour les rappeurs, ces bouts de refrains qui rendent un morceau obsédant. Meryl collabore aux albums de SCH, Soprano, Niska ou encore Shay. Courtisée mais discrète, elle guette la lumière.
Elle la capte en 2019 avec Béni, ode à sa bonne étoile tout en beats sourds, flow mélancolique… et créole martiniquais, bien sûr. On ne la comprend pas en métropole? La question ne s’est même pas posée. «C’était pas un acte militant, mais juste naturel. Si le créole n’avait pas le statut de langue officielle pendant longtemps, aujourd’hui aux Antilles, il y est parlé tous les jours, par tout le monde. A chaque fois qu’on me demande pourquoi ce choix, je réponds: «Mais les gars, c’est ma langue en fait!»
Son premier EP, Jour avant Caviar (2020), offre à Meryl sa place dans le game français, prouve qu’elle sait conjuguer les langues mais
«La situation financière difficile en Martinique m’a donné une rage qui ne m’a jamais quittée» MERYL, RAPPEUSE
aussi les registres – hip-hop gangster, pop chaloupée, dancehall. Son rappé-chanté dopé à l’autotune transpire l’ambition. Dans Comme à la maison, elle canarde: «On ne change le monde que si on charbonne/Pas diplomate, pas diplômée/A vrai dire je n’ai même pas de plan B.»
L’objectif, c’est le caviar, même si elle n’y a jamais goûté: un symbole de luxe fantasmé, d’une gloire forcément imminente. Là où d’autres verraient un trop-plein d’orgueil, Meryl parle de revanche. «La situation financière en Martinique m’a donné une rage qui ne m’a jamais quittée, c’est ce qui me fait avancer dans la vie. En mode: «Moquezvous bien, vous verrez.» Et même si j’échoue, j’aurai accompli pas mal de trucs. Moi, je mène tranquillement ma barque, elle va forcément me guider quelque part.»
Ouvrir grand les portes
Après trois ans d’absence, et des collaborations avec Hatik ou Georgio, Meryl passe la seconde en 2023 avec Ozoror. Huit titres plus pop mais emprunts de la même urgence – de danser, de séduire, de vaincre. Les millions de streams parlent pour eux.
Le vent dans les voiles, Meryl n’oublie pas son île. En coédition avec Universal, elle a créé son label, Maison Caviar, et déjà signé des beatmakers antillais. Un rempart de plus contre l’invisibilité des artistes et le manque de structures dans sa région. «Beaucoup de rappeurs français viennent aux Antilles pour tourner des clips «authentiques», mais après, y’a pas vraiment de
feats, de mise en avant. J’ai toujours dit que si j’avais ne serait-ce qu’une porte ouverte, je ferais rentrer tout le monde avec moi.»
La Martinique, Meryl y retourne dès qu’elle peut, fuyant l’étape (encore) obligée qu’est Paris. Pour l’instant, c’est la tournée qui l’attend – des scènes comme autant de terrains de chasse, de propagande, comme elle dit. Alors la «tubeuse à gage», son surnom dans le milieu, donne tout: les foules la transportent. Jack Sparrow devant son coffre au trésor.
■ en concert aux Docks de Lausanne, je 29 février à 20h30. En première partie, la chanteuse genevoise Lakna.