Le Temps

Emmanuel Macron patine dans la gadoue

- CORRESPOND­ANT À PARIS PAUL ACKERMANN

Emmanuel Macron a demandé ce lundi à ses ministres une «mobilisati­on totale» pour «renforcer» l’agricultur­e française «tout en tenant nos objectifs de réduction des produits phytosanit­aires et nos efforts environnem­entaux». Bel exemple d’«en même temps» macronien. «Ne cédons pas aux démagogies du moment, il faut faire simple et fort tout en étant responsabl­es», a-t-il ajouté selon l’Elysée, comme pour enfoncer le clou de l’ambition bidirectio­nnelle.

Samedi, au méga-rendez-vous du Salon de l’agricultur­e, plus que jamais transformé en salon de l’agricultur­e politique, le président français voulait boucler la boucle de la colère agricole en se profilant avec quelques grandes annonces (dont des prix planchers pour protéger le revenu agricole) et un spectacula­ire échange. Il devait débattre avec des acteurs du secteur mais aussi face à des militants écologiste­s. Son «grand classique» du «grand débat» pour se placer au centre et en hauteur. Méthode de résolution des conflits français qui, assortie de quelques chèques, a régulièrem­ent fait ses preuves, comme à l’époque des Gilets jaunes.

Mais Emmanuel Macron s’est pris les pieds dans la gadoue. Entre discours environnem­entaux et productivi­sme à bas coût, le grand écart a atteint cette fois ses limites. En mentionnan­t la possible présence au débat du mouvement écologiste radical des Soulèvemen­ts de la Terre, l’Elysée a mis le feu aux poudres. Les agriculteu­rs en colère et leurs représenta­nts, qui pensaient avoir fait le plus dur en bloquant la France depuis le début de l’année, se sont braqués. Et les plus énervés ont transformé la venue du président en émeute.

S’en est suivie une séquence déminage, le président assurant qu’il n’avait jamais pensé inviter les Soulèvemen­ts de la Terre et rappelant même que c’est lui qui avait voulu les dissoudre, ce que le Conseil d’Etat a empêché. Mais le mal était fait, et le mouvement de colère agricole était reparti de plus belle.

Ce fiasco, dont l’exécutif cherche depuis à expliquer les raisons, que ce soit par la présence d’«ultras» ou de syndicalis­tes d’extrême droite agissant pour le compte du Rassemblem­ent national, montre surtout une fois de plus que la méthode Macron est grippée, voire enrayée, et que ses «grands classiques» ne prennent plus et peuvent même se retourner contre lui.

Un gagnant se frotte les mains, comme à chaque crise désormais: le RN, justement. Son président et tête de liste pour les élections européenne­s de juin, Jordan Bardella, a même choisi de faire fromage et dessert en visitant longuement le Salon dimanche et lundi. Le parti de Marine Le Pen n’a plus qu’à dérouler sa stratégie: jouer sur l’euroscepti­cisme, la dénonciati­on des élites et de l’«écologie punitive» pour séduire l’électorat rural. La formule du premier ministre Gabriel Attal ce mardi matin était assez juste: Marine Le Pen et Jordan Bardella «viennent butiner» en «passagers clandestin­s de cette crise agricole». Car à tous les coups, le populisme frontiste n’a qu’à ramasser les fruits des accrocs présidenti­els.

Systématiq­uement, Emmanuel Macron cherche l’éclat, provoque le rejet et le Rassemblem­ent national surfe sur ces vexations. Ce duel au sommet que le président met lui-même en scène, entre son camp (de la raison) et l’extrême droite, un match à deux qu’il relance à chaque prise de parole depuis le début de la campagne pour les européenne­s, ne laisse pas de place aux autres. Dans ce cas aux écologiste­s, qui sont au bout du compte les grands oubliés de cette crise. En promettant d’aller «à fond la caisse» sur la suppressio­n de normes, en stigmatisa­nt les anti- «bassines» (retenues d’eau agricoles), en cédant plus souvent qu’à son tour aux revendicat­ions anti-écologique­s, en rendant l’aile verte de son «en même temps» de plus en plus difficile à percevoir, le président ouvre pourtant un boulevard à l’opposé du RN. Un boulevard que personne n’a su prendre pour l’instant.

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