Emmanuel Macron patine dans la gadoue
Emmanuel Macron a demandé ce lundi à ses ministres une «mobilisation totale» pour «renforcer» l’agriculture française «tout en tenant nos objectifs de réduction des produits phytosanitaires et nos efforts environnementaux». Bel exemple d’«en même temps» macronien. «Ne cédons pas aux démagogies du moment, il faut faire simple et fort tout en étant responsables», a-t-il ajouté selon l’Elysée, comme pour enfoncer le clou de l’ambition bidirectionnelle.
Samedi, au méga-rendez-vous du Salon de l’agriculture, plus que jamais transformé en salon de l’agriculture politique, le président français voulait boucler la boucle de la colère agricole en se profilant avec quelques grandes annonces (dont des prix planchers pour protéger le revenu agricole) et un spectaculaire échange. Il devait débattre avec des acteurs du secteur mais aussi face à des militants écologistes. Son «grand classique» du «grand débat» pour se placer au centre et en hauteur. Méthode de résolution des conflits français qui, assortie de quelques chèques, a régulièrement fait ses preuves, comme à l’époque des Gilets jaunes.
Mais Emmanuel Macron s’est pris les pieds dans la gadoue. Entre discours environnementaux et productivisme à bas coût, le grand écart a atteint cette fois ses limites. En mentionnant la possible présence au débat du mouvement écologiste radical des Soulèvements de la Terre, l’Elysée a mis le feu aux poudres. Les agriculteurs en colère et leurs représentants, qui pensaient avoir fait le plus dur en bloquant la France depuis le début de l’année, se sont braqués. Et les plus énervés ont transformé la venue du président en émeute.
S’en est suivie une séquence déminage, le président assurant qu’il n’avait jamais pensé inviter les Soulèvements de la Terre et rappelant même que c’est lui qui avait voulu les dissoudre, ce que le Conseil d’Etat a empêché. Mais le mal était fait, et le mouvement de colère agricole était reparti de plus belle.
Ce fiasco, dont l’exécutif cherche depuis à expliquer les raisons, que ce soit par la présence d’«ultras» ou de syndicalistes d’extrême droite agissant pour le compte du Rassemblement national, montre surtout une fois de plus que la méthode Macron est grippée, voire enrayée, et que ses «grands classiques» ne prennent plus et peuvent même se retourner contre lui.
Un gagnant se frotte les mains, comme à chaque crise désormais: le RN, justement. Son président et tête de liste pour les élections européennes de juin, Jordan Bardella, a même choisi de faire fromage et dessert en visitant longuement le Salon dimanche et lundi. Le parti de Marine Le Pen n’a plus qu’à dérouler sa stratégie: jouer sur l’euroscepticisme, la dénonciation des élites et de l’«écologie punitive» pour séduire l’électorat rural. La formule du premier ministre Gabriel Attal ce mardi matin était assez juste: Marine Le Pen et Jordan Bardella «viennent butiner» en «passagers clandestins de cette crise agricole». Car à tous les coups, le populisme frontiste n’a qu’à ramasser les fruits des accrocs présidentiels.
Systématiquement, Emmanuel Macron cherche l’éclat, provoque le rejet et le Rassemblement national surfe sur ces vexations. Ce duel au sommet que le président met lui-même en scène, entre son camp (de la raison) et l’extrême droite, un match à deux qu’il relance à chaque prise de parole depuis le début de la campagne pour les européennes, ne laisse pas de place aux autres. Dans ce cas aux écologistes, qui sont au bout du compte les grands oubliés de cette crise. En promettant d’aller «à fond la caisse» sur la suppression de normes, en stigmatisant les anti- «bassines» (retenues d’eau agricoles), en cédant plus souvent qu’à son tour aux revendications anti-écologiques, en rendant l’aile verte de son «en même temps» de plus en plus difficile à percevoir, le président ouvre pourtant un boulevard à l’opposé du RN. Un boulevard que personne n’a su prendre pour l’instant.
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