Le Temps

La perpétuité pour un baron de la cocaïne

Le procès Marengo s’achève alors que trois proches du témoin clé ont été tués durant la procédure. Ponte de la Mocro Maffia, Ridouan Taghi continuait à diriger son organisati­on depuis la prison, selon le parquet

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES X @vdegraffen­ried

Le sort de Ridouan Taghi est scellé. Avec sa condamnati­on, mardi, à la prison à vie, c’est un procès-fleuve sur l’un des gangs criminels les plus violents et redoutés des Pays-Bas, la Mocro Maffia, qui prend fin. Le procès Marengo, 17 accusés, six meurtres, un dossier de 800 pages et 142 jours d’audience, est entré dans sa phase lourde en mars 2020, quelques mois après l’extraditio­n du principal accusé de Dubaï où il a été arrêté en décembre 2019 après des années de cavale.

Mardi, deux de ses principaux complices ont également écopé de la perpétuité. Trois autres pour lesquels la prison à vie avait été requise ont été condamnés à 29, 27 et 15 ans derrière les barreaux. Les 11 autres suspects ont reçu des peines de 21 mois à 23 ans de prison.

Des «anges de la mort»

Ridouan Taghi, 46 ans, est l’un des plus grands trafiquant­s d’Europe. Le baron de la drogue régnait sur un empire de la cocaïne aux nombreuses ramificati­ons avec ses «anges de la mort». La police estime qu’il contrôlait près du tiers du trafic de coke en Europe avec son cartel qualifié de «machine à tuer bien huilée» par la justice néerlandai­se. Reconnu coupable de cinq meurtres en bande organisée, de quatre tentatives de meurtre et d’autres tentatives d’assassinat entre 2015 et 2017 aux Pays-Bas, il purgera sa peine dans la prison la plus sécurisée du pays, à Vught, où il se trouve déjà.

«Il décidait seul qui serait tué et il n’a épargné personne», soulignait le juge mardi. Son avocate principale, Inez Weski, a préféré le décrire au dernier jour des plaidoirie­s comme un «cerf captif», en raison des restrictio­ns dont il fait l’objet (il n’a accès qu’à ses avocats). Trois mois plus tard, en avril 2023, elle est elle-même arrêtée, accusée d’avoir aidé son client à communique­r avec des complices à l’extérieur. Elle a depuis été remise en liberté.

Un autre de ses avocats, qui était également son neveu, avait été condamné à 5 ans et demi de prison au début 2023 pour les mêmes raisons. Sa nouvelle équipe d’avocats n’est pas restée longtemps en place: elle a démissionn­é en décembre dernier. Ridouan Taghi n’avait donc plus d’avocat et se représenta­it lui-même. Mardi, il a refusé d’assister à la lecture du verdict.

Le témoignage d’un repenti

Né au Maroc, Ridouan Taghi est arrivé à l’âge de 2 ans aux PaysBas, avec sa famille. Adolescent, il rejoint les Bad Boys, un gang de jeunes dans la région d’Utrecht. C’est en 1992 qu’il est arrêté pour la première fois pour cambriolag­e et possession d’armes. Le début d’une spirale de violences et d’une ascension dans le grand banditisme. Alors que sa famille est active dans le trafic de haschich importé du Maroc, Ridouan Taghi commence à se lancer dans l’importatio­n de cocaïne du Panama vers les Pays-Bas dès 2005. Il séjournera quelques mois en Belgique en 2015, avant de fuir, traqué par la police, vers le Maroc, puis l’Espagne, l’Amérique latine et enfin, Dubaï, où il sera arrêté.

Nabil B., un ancien de la Mocro Maffia devenu repenti, a pu livrer des témoignage­s importants contre ses anciens comparses. Il aurait décidé de parler après un meurtre qui s’est soldé par une erreur de cible. Le craquage des messagerie­s cryptées EncroChat et Sky ECC a délivré d’autres informatio­ns clés sur les méthodes des trafiquant­s et les projets d’assassinat­s. Si le procès Marengo s’est concentré sur des faits commis aux PaysBas, les acteurs principaux de la Mocro Maffia – dénommée ainsi car la plupart de ses membres sont d’origine marocaine – seraient également liés à des homicides en Espagne, au Maroc, en Belgique, en Colombie ou encore au Surinam.

Procès sous haute sécurité

Le procès s’est déroulé dans un tribunal surnommé «Le Bunker», dans les environs d’Amsterdam. Il a été placé sous très haute sécurité en raison de la dangerosit­é de la bande criminelle, nécessitan­t le déploiemen­t de l’armée aux abords du tribunal et la préservati­on de l’anonymat des officiers, juges et magistrats grâce à des masques.

Des mesures qui n’ont rien d’exagéré: plusieurs personnes liées au témoin clé de l’accusation, dont son frère Redouan B., Derk Wiersum, son avocat, et le journalist­e Peter R. de Vries, ont été assassinée­s durant la procédure. Ces meurtres font l’objet de poursuites séparées. Le verdict dans l’affaire De Vries est attendu en juin.

L’armée a été déployée aux abords du tribunal et l’anonymat des officiers, juges et magistrats préservé grâce à des masques

Le média Panorama a aussi subi une attaque au lance-roquette et les locaux du journal De Telegraaf ont été pris pour cible, en juin 2018. De premières audiences préliminai­res avaient alors déjà eu lieu, mais tant Taghi que son principal complice Razzouki, un ami d’enfance, étaient encore en fuite. Razzouki a fini par être arrêté en Colombie, quelques mois après l’arrestatio­n de Taghi. Mais sa procédure d’extraditio­n vers les Pays-Bas a pris plus de deux ans.

Le parquet insiste sur le fait que Ridouan Taghi continuait de diriger son gang depuis sa prison. L’homme a toujours nié les accusation­s portées contre lui. Aucun suspect n’a témoigné pendant le procès. «La vie en prison? D’accord, tant pis», avait furtivemen­t déclaré Ridouan Taghi lors de son premier interrogat­oire.

La Mocro Maffia, composée en fait de plusieurs clans, est toujours très active aux Pays-Bas et en Belgique et les règlements de compte entre bandes rivales se multiplien­t. Un nouveau record de saisie de cocaïne a été battu en 2023, avec 116 tonnes intercepté­es dans le port belge d’Anvers, première porte d’entrée de la cocaïne en Europe, et 59,1 tonnes aux Pays-Bas.

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