A l’Elysée, le mot de trop
Berlin, Madrid et tout le reste du paysage politique français sont unanimes: la mention par Emmanuel Macron d’un possible envoi de troupes en Ukraine était une mauvaise idée
En déclarant lundi soir qu'il ne fallait pas exclure la possibilité d'un envoi de troupes occidentales au sol pour défendre l'Ukraine, Emmanuel Macron a franchi une ligne et personne ne veut le suivre. Spécialiste de ces phrases chocs qui secouent le monde diplomatique, le président français répondait ainsi aux journalistes à l'issue d'une conférence internationale de soutien à l'Ukraine réunissant de nombreux chefs d'Etat à Paris. Hier, les réactions étaient unanimes contre ce ballon d'essai d'un président français qui fait tout pour s'afficher en principal soutien de Kiev depuis quelques semaines.
La prise de parole la plus forte aura peut-être été celle d'Olaf Scholz. Pourtant présent à Paris lundi, il a cru bon de marteler hier à l'occasion d'une conférence de presse à Fribourg-en-Brisgau qu'«aucun soldat» ne serait envoyé par des membres de l'UE ou de l'OTAN. «Ce qui a été décidé entre nous dès le début continue à être valide pour l'avenir», précise le chancelier allemand, ajoutant qu'il y a «une très grande unanimité sur cette question».
Quelques minutes plus tard, c'est la porte-parole du gouvernement espagnol Pilar Alegria qui a affirmé à l'issue d'un conseil des ministres que son pays n'était «pas d'accord» non plus avec l'idée de «déployer des troupes européennes en Ukraine». Madrid juge plutôt qu'il faudrait se «concentrer sur ce qui est urgent, à savoir accélérer la livraison de matériel». Et d'ajouter que l'unité est «l'arme la plus efficace dont dispose l'Europe». Même son de cloche du côté italien, tchèque et polonais.
Sollicitée par l'AFP, l'OTAN a également écarté tout envoi de troupes. Même la Maison-Blanche a fait savoir que les Etats-Unis n'enverraient pas de soldats combattre en Ukraine.
Il faut dire que le simple fait d'évoquer la possibilité de soldats européens sur le sol ukrainien constitue «un nouvel élément très important» dans le conflit, selon le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov, qui a affirmé hier matin qu'une telle présence impliquerait l'«inévitabilité» d'un conflit direct entre l'OTAN et la Russie. Sans surprise, la seule réaction favorable dans ce concert de protestations a émané de l'Ukraine: les propos d'Emmanuel Macron sont «un bon signe», a ainsi salué Kiev hier soir.
«On parle de la vie de nos enfants»
Du côté interne à la France, l'accueil n'est pas plus chaleureux. «Cette escalade verbale belliqueuse d'une puissance nucléaire contre une autre puissance nucléaire majeure est un acte irresponsable», a réagi Jean-Luc Mélenchon dans les minutes qui ont suivi la phrase choc du président français. «Je ne sais pas si chacun se rend compte de la gravité d'une telle déclaration, a tweeté quant à elle Marine Le Pen hier matin. Emmanuel Macron joue au chef de guerre mais c'est de la vie de nos enfants dont il parle avec autant d'insouciance.»
La France insoumise et le Rassemblement national ont toujours affiché plus de réserve que les autres dans leur soutien à l'Ukraine. Mais chez les plus modérés non plus, la petite phrase d'Emmanuel Macron ne passe pas. «Cette déclaration lourde de terribles conséquences s'est faite sans le moindre débat parlementaire», critique le patron de la droite traditionnelle Eric Ciotti. «Inquiétante légèreté» du président qui «au détour d'une conférence de presse se dit éventuellement prêt à engager la France comme nation cobelligérante dans cette guerre», ajoute le premier secrétaire du PS Olivier Faure. «Une rencontre avec les dirigeants des partis politiques s'impose après (ces) déclarations ambiguës sur la guerre en Ukraine et le parlement doit être simultanément saisi pour un débat stratégique éclairé», ajoute même le patron des socialistes.
Face à cette levée de boucliers, lors des habituelles questions au gouvernement, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a tenu à préciser que les troupes envisagées par son président ne feraient pas franchir «le seuil de belligérance» selon lui, évoquant des opérations de déminage, de protection cyber ou de production d'armes. L'Elysée annonçait par ailleurs au même moment un prochain débat suivi d'un vote au parlement sur l'accord bilatéral de sécurité conclu avec l'Ukraine à la mi-février. Hasard de calendrier? ■