Après la guérilla judiciaire, Versoix passe au règlement de compte politique
L’acquittement du journaliste de «Vigousse», poursuivi aux frais du contribuable par le secrétaire général de la commune, pousse des élus à exiger un remboursement des notes d’honoraires. Le psychodrame entamé durant l’été 2021 n’est pas clos
La saga judiciaire se termine par un fiasco pour la mairie de Versoix. Les quelque 250 000 francs débloqués pour rétablir l’honneur de son secrétaire général, Christian Séchaud, qui s’estimait diffamé par un article paru en septembre 2021 dans le journal satirique Vigousse, n’auront pas suffi. Au bout du compte, le journaliste JeanLuc Wenger a été acquitté par le Tribunal de police de Lausanne et l’ensemble des frais de procédures ont été mis à la charge du plaignant. Ou plutôt du contribuable de la commune genevoise, et c’est bien ce qui agite le landerneau.
Recherche de la vérité «entravée»
De fait, la présidente de la juridiction, Nadia Ouni, ne se montre pas tendre à l’égard des autorités de Versoix. Elle note que le tribunal «n’a pas pu mener à bien l’instruction de la cause, dès lors que les témoins dont il a ordonné l’audition n’ont étonnamment pas été déliés du secret de fonction». Ces témoignages, d’actuels et d’anciens employés, susceptibles de confirmer les allégations contenues dans l’article sur le style managérial de Christian Séchaud, étaient jugés nécessaires pour établir si les faits reprochés étaient fondés, ou du moins la bonne foi du journaliste.
L’autorité a ainsi été privée de «rechercher la vérité matérielle», ce qui «pourrait laisser penser qu’il y aurait anguille sous roche». Cet élément l’a conduite à considérer le cas avec un «large pouvoir d’appréciation» et finalement acquitter le journaliste. La juge rappelle aussi que les frais de justice peuvent être imputés à la partie plaignante, lorsque celle-ci «a entravé le bon déroulement de la procédure»; elle estime que tel est le cas en l’espèce.
Pas d’appel
Quant à Christian Séchaud, le tribunal «ne le croit pas» lorsqu’il dit ignorer un élément décisif, soit un accord conclu entre la mairie et un ancien employé, décédé depuis. Cet employé, qui était en conflit avec la commune, a obtenu une convention de départ, avec plusieurs mois d’indemnités, signée la veille de sa comparution comme témoin dans le cadre d’un autre litige. Suggérant que son silence avait été acheté, le journaliste avait évoqué une «subornation de témoin», expression à connotation pénale, pour laquelle il s’était excusé lors de la procédure civile. Une atteinte partielle à la personnalité du secrétaire général avait été reconnue au civil, condamnant Vigousse à verser 1 franc symbolique.
Lorsque le verdict au pénal a été rendu, l’avocat du secrétaire général, Me Nicolas Capt, indiquait qu’il entendait faire appel, mais attendait néanmoins que les considérants soient rendus. Il y renonce. Avec ce motif, précisé au Temps: «Mon client a décidé de clore cette procédure», estimant qu’un recours serait «une perte de temps et d’énergie» et susciterait «une plus grande incompréhension de la part des élus, des citoyens et des collaborateurs de Versoix». Satisfait qu’une atteinte à l’honneur ait été reconnue, il considère que «la page est désormais tournée» et souhaite consacrer «toute son énergie» à son travail.
Une page se tourne, après deux ans et demi d’un psychodrame judiciaire? Rien n’est moins sûr. Car le Conseil municipal se prononcera le 4 mars prochain sur une résolution émanant des Vert·e·s et d’un élu indépendant. Le texte demande «le respect et le remboursement du contribuable de Versoix», visant les «notes d’honoraires» de la procédure contre le journaliste. Au total, les frais engagés par la mairie sont estimés «à plus de» 250 000 francs. Il suffirait que le PLR se joigne au Vert·e·s pour que la résolution, non contraignante, obtienne une majorité. Le président de la section locale, Julien Marquis, indique que son parti adhère aux objectifs de la résolution, mais entend rechercher un compromis sur certaines demandes jugées irréalistes.
Exécutif divisé
De leur côté, le Parti socialiste et Le Centre défendent ardemment leurs élus à l’exécutif; Ornella Enhas et Cédric Lambert ont pris fait et cause pour le secrétaire général (validant notamment les frais d’avocats engagés). La troisième membre du Conseil administratif, la Verte Jolanka Tchamkerten, est systématiquement en minorité dans ce contexte. Elle avait appelé à «libérer la parole» face aux dysfonctionnements allégués au sein de l’administration et au style managérial de Christian Séchaud.
On ne sait trop pourquoi le Conseil d’Etat a fini par s’en mêler, infligeant un blâme à l’élue en décembre dernier. La procédure avait pour but de déterminer si Jolanka Tchamkerten avait enfreint ses devoirs de fonction «notamment lors des procédures civiles et pénales menées tant par la commune que par le secrétaire général à l’encontre de médias romands». Sollicitée, elle dit avoir pris acte de cette sanction, «la plus clémente» prévue par la loi sur l’administration des communes. Elle rappelle que ce blâme est lié au constat du tribunal sur le secret de fonction des employés appelés comme témoins.
A travers cette résolution, le Conseil municipal renouvellerait aussi sa demande, initialement adressée à l’exécutif juste après l’article de Vigousse, d’ouverture d’une enquête «externe et indépendante» pour faire la lumière sur les allégations relayées. En lieu et place, la majorité du Conseil administratif avait opté pour un «diagnostic organisationnel», lequel avait conclu que tout allait pour le mieux dans l’administration. La méthodologie avait été fortement contestée.
Contacté, le maire Cédric Lambert indique que l’exécutif ne se prononcera pas avant la séance du Conseil municipal. A suivre le 4 mars, donc. ■