Les bourses battent des records mais l’économie réelle traîne
Dans le sillage de Wall Street, la bourse suisse et les autres places financières ont enregistré d’importantes progressions depuis le début de l’année, nonobstant le ralentissement de la conjoncture
Les bourses, entraînées par Wall Street, affichent presque partout des records et la place financière suisse n’est pas en reste. Alors que le SMI, l’indice regroupant les principales valorisations helvétiques, évoluait encore autour des 11 150 points au début de 2024, un plus haut de l’année a été franchi vendredi en cours de séance à 11 505,72 points. La veille, l’indice américain S&P 500 s’était aussi illustré en battant un nouveau record de l’année, notamment grâce aux excellents résultats du géant américain des puces microprocesseurs Nvidia.
«Les marchés des actions sont portés en partie par les espoirs autour de l’intelligence artificielle aux Etats-Unis», explique l’analyste Ipek Ozkardeskaya de Swissquote, tout en précisant que ce sont essentiellement les titres technologiques, appelés les Magnificent Seven comme Meta, Amazon, Microsoft, Nvidia, Apple et Google, qui sont à l’origine du rally américain observé actuellement. De nombreux investisseurs espèrent que l’intelligence artificielle permettra entre autres de créer des outils ayant une forte valeur ajoutée, de réduire les coûts de production et par là de soutenir l’économie et les bénéfices des entreprises.
Les poids lourds suisses freinent
En Suisse, en revanche, ce ne sont pas les valeurs vedettes du SMI qui expliquent sa bonne tenue: depuis le début de l’année, les deux poids lourds que sont Roche et Nestlé n’ont pas eu les performances escomptées (les deux valeurs sont en baisse). Cependant, des titres comme Lonza (+30%), Richemont (+18%) ou encore Swiss Re (+12%) ont compensé ces pertes, explique John Plassard, spécialiste en investissement à la banque Mirabaud. Et au niveau de l’Europe, le groupe de luxe LVMH, l’une des principales valorisations du Vieux-Continent, joue son rôle de locomotive à la perfection.
John Plassard relève également que la «résilience extraordinaire» de l’économie américaine insuffle un vent d’optimisme aux investisseurs en général. «Nous continuons à observer une forte consommation aux Etats-Unis et les risques de récession semblent s’éloigner peu à peu malgré le resserrement de la politique monétaire observé depuis 2022», poursuit le spécialiste. Pour contrer l’inflation, la Réserve fédérale américaine (Fed), tout comme la Banque centrale européenne (BCE) et la BNS, ont en effet augmenté les taux d’intérêt. Le renchérissement ayant nettement décéléré ces derniers mois, ces instituts d’émission ont maintenu leurs taux à un niveau stable et devraient commencer à les réduire au cours de cette année, une mesure déjà anticipée par les marchés.
Si la bourse suisse affiche une santé insolente, l’économie réelle ne peut pas en dire autant. Après avoir clôturé 2023 sur un plus bas historique de 2%, le taux de chômage remonte lentement: il est passé de 2,3% en décembre à 2,5% en janvier. De plus en plus d’entreprises, en particulier l’industrie et les secteurs portés vers l’exportation, sont affectées par la faible demande pour leurs produits. Barry Callebaut, un fournisseur de cacao et chocolat aux grands groupes alimentaires, est le dernier exemple de cette détérioration de la conjoncture. L’entreprise zurichoise envisage de supprimer 2500 postes, soit 18% de ses effectifs dans les prochains dixhuit mois, a indiqué son directeur général dans les colonnes du quotidien allemand Handelsblatt.
«Nous continuons à observer une forte consommation aux Etats-Unis et les risques de récession semblent s’éloigner peu à peu» JOHN PLASSARD, SPÉCIALISTE EN INVESTISSEMENT À LA BANQUE MIRABAUD
«Il y a en effet un décalage entre les marchés financiers et l’économie réelle. Mais l’évolution des bourses reflète plutôt les anticipations positives des investisseurs», fait remarquer John Plassard.
En mode attentiste
Les marchés financiers, après avoir enregistré des records en fin de semaine dernière, retiennent maintenant leur souffle dans l’attente de la publication de différentes données macroéconomiques de première importance pour les Etats-Unis et l’Europe, telles que l’inflation et le produit intérieur brut (PIB).
«Si les chiffres sont conformes aux attentes, le rally des bourses pourrait se prolonger et être soutenu par davantage de secteurs et pas seulement la technologie, comme c’est le cas aux Etats-Unis actuellement», croit savoir Ipek Ozkardeskaya. «Mais une consolidation des marchés est inévitable à un moment», nuance pour sa part John Plassard, tout en rappelant que l’évolution des bourses dépendra aussi des questions géopolitiques, difficiles à prédire.
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