Le Temps

La victoire en solitaire de Charles Caudrelier relève d’un travail d’équipe

Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild a remporté mardi matin l’Arkea Ultim Challenge, tour du monde en solitaire en multicoque, après cinquante jours, dix-neuf heures et sept minutes. Il s’impose avec une avance phénoménal­e, fruit d’un effort collectif

- VINCENT GILLIOZ

Ni l’arrêt en pleine mer de deux jours à proximité du point Nemo ni l’escale aux Açores de 78 heures n’auront eu raison de la phénoménal­e avance du Maxi Edmond de Rothschild sur l’Arkea Ultim Challenge. Charles Caudrelier a bouclé son tour du monde en solitaire à Brest mardi matin avec un écart de 1200 milles (2200 km) sur son poursuivan­t direct Thomas Coville, et 2000 milles sur Armel Le Cléac’h. S’il est loin du record établi sur le parcours en 2017 par François Gabart (quarante-deux jours et seize heures), le skipper de l’écurie Gitana n’a jamais vraiment été inquiété par ses concurrent­s. «J’aurais pu arriver plus vite en forçant le destin, mais j’ai été conservate­ur. L’important, c’est d’arriver premier, le temps importe peu», a-t-il déclaré juste après le passage de la pointe Saint-Mathieu, au large de Brest.

Au-delà de l’incontesta­ble niveau du marin régatier, et de sa monture plus qu’éprouvée, Caudrelier a bénéficié d’un alignement d’étoiles favorable qui l’a mené à la victoire. «Il faut bien sûr un peu de réussite, a-t-il reconnu. Mais elle était là et elle est méritée.» Ses cinq concurrent­s n’ont pas eu cette chance, et ont tous dû faire au moins une escale pour réparation. Tom Laperche, première victime d’un ofni (objet flottant non identifié), n’est jamais reparti d’Afrique du Sud, où il a été contraint à l’abandon. Anthony

«J’aurais pu arriver plus vite en forçant le destin, mais j’ai été conservate­ur» CHARLES CAUDRELIER, SKIPPER

Marchand et Eric Péron ont également fait escale à Cap Town. Thomas Coville s’est arrêté en Tasmanie, Armel Le Cléac’h au Brésil.

Victime d’une casse non structurel­le au quatrième jour de course, le vainqueur a malgré tout continué, réussissan­t seul en mer à stabiliser l’avarie. Il n’est pas passé loin d’un non-stop, jusqu’à ce qu’une méchante dépression lui barre la route à trois jours de l’arrivée. Son avance lui a permis de jouer la carte sécuritair­e et de s’abriter aux Açores pour envisager de terminer sereinemen­t. A ce jour, seuls Francis Joyon (deux fois), Ellen MacArthur, Thomas Coville et François Gabart sont parvenus à boucler la boucle d’une traite en multicoque, ce qui démontre la difficulté de l’exercice.

Malgré le caractère solitaire de l’épreuve, la victoire de Charles Caudrelier relève d’un travail d’équipe. Les routeurs Erwan Israël, Benjamin Schwartz et Julien Villion étaient astreints au même régime que le skipper durant toute la course. Assurant une veille permanente depuis une maison morbihanna­ise, ils ont dessiné la route du maxi-trimaran, analysant en temps réel les fichiers météo et les conditions à bord. «J’étais dix fois plus stressé derrière mon ordi que lui sur son bateau!», a raconté dans un communiqué Benjamin Schwartz, en référence à un passage dans un gros grain de l’Atlantique Sud. «Les communicat­ions sont faites par messagerie, à un rythme dicté par les conditions, a quant à elle expliqué Tiphaine Combot-Seta, responsabl­e de la communicat­ion du team. Ça peut être plusieurs fois par heure quand c’est complexe, à quelques textos par jour, lorsque la situation est limpide. Il y a très peu d’échanges de vive voix.»

Frustratio­n et polémique

Les aspects techniques sont également suivis de très près par une brigade de spécialist­es et ingénieurs, chargés de s’assurer que la monture reste toujours en état. «Tout est mesuré, détaille Nicolas Le Griguer, électronic­ien du team. Toutes les trente secondes, 650 données nous parviennen­t: le vent, le cap et la vitesse bien sûr, mais aussi la déformatio­n de la plateforme, la pression sur le pilote, l’état de l’hydrauliqu­e, des appendices, du gréement, de la structure, la consommati­on d’énergie… Le skipper peut être alerté n’importe quand d’un problème.» Des propos qui laissent entendre que pareille régate est comparable à une mission spatiale.

Derrière la joie du skipper victorieux, Armel Le Cléac’h, qui devrait terminer troisième, a fait part lundi de sa frustratio­n dans son carnet de bord envoyé à nos confrères de Ouest-France. «On a enchaîné tous les mauvais scénarios», a-t-il regretté. Déclarant également son sentiment d’injustice quant aux aspects financiers du résultat. «La prime pour le premier est de 200 000 euros, et après, pour les autres, c’est zéro! Je ne fais pas ça pour l’argent, mais quand tu passes cinquante jours, en course, seul autour du monde, c’est quand même décevant.» Une prise de position qui ne ternit pas la victoire de Caudrelier, mais rappelle que la course au large, malgré son caractère aventureux, n’échappe pas aux polémiques du sport business. ■

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