Une oeuvre défiant les sables du temps
Publié en 1965, «Dune» aborde des thèmes comme l’écologie, le colonialisme ou la génétique qui entrent en résonance avec les inquiétudes contemporaines et participent au succès du film
Ayant atteint quelque 400 millions de dollars de recettes, Dune. Première partie a pu générer une suite. L’attente a été d’autant plus longue que la grève des scénaristes hollywoodiens a repoussé de quatre mois la sortie du deuxième volet. Les raisons de l’engouement suscité par ce film, tiré d’un livre complexe ayant suscité deux échecs cinématographiques – le projet avorté d’Alejandro Jodorowsky dans les années 1970 et le nanar faramineux de David Lynch en 1984 – sont multiples.
La première, et la plus superficielle, c’est la «Chalametmania», cette intrigante toquade planétaire pour Timothée Chalamet, freluquet vibratoire en qui l’époque voit une figure de masculinité bienveillante. Révélé en jeune intellectuel découvrant son homosexualité sous le ciel de Lombardie dans Call Me by Your Name, il a folâtré chez Woody Allen, Greta Gerwig et joué les chocolatiers débutants dans Wonka. Trêve d’ironie: l’éphèbe filiforme exhale une force intérieure qui le rend tout à fait crédible dans le rôle de Paul Atréides, le jouvenceau prédestiné à guerroyer contre tout l’univers.
Par-delà cet atout de charme, la fascination qu’exerce le film sur l’époque est inhérente au roman de Frank Herbert dont il est tiré. Publié en 1965 et vendu à 12 millions d’exemplaires, Dune est contemporain de la guerre du Vietnam et de l’émergence de la contreculture. Et, à l’instar du Seigneur des anneaux, autre pilier des années 19601970 affranchi de l’épreuve du temps, il continue d’illuminer l’imaginaire du XXIe siècle.
Guerre sainte
«Le danger des rapports entre religion et pouvoir, le colonialisme, l’exploitation des ressources naturelles sont autant de questions qui traversent Dune», rappelle Denis Villeneuve dans L’Obs. Ce roman «dangereusement prescient» entre en résonance avec les grandes angoisses de l’époque contemporaine.
L’épice, substance psychotrope qui confère longévité et don de voyance, renvoie forcément aux paradis artificiels dont sont friandes les sixties. Mais la Guilde des Navigateurs en a besoin pour replier l’espace. Sans cet hallucinogène, pas de déplacements interstellaires. Derrière son apparence de drogue récréative, l’épice se pose en métaphore du pétrole, et c’est pour elle que l’univers s’embrase.
Grand livre écologiste, Dune évoque la raréfaction des ressources, dont l’eau, une réalité à laquelle le réchauffement climatique soumet un nombre croissant de régions tempérées – Arrakis commence au lac des Brenets… Frank Herbert dénonce l’impérialisme et le colonialisme: Shaddam IV et ses vassaux ont pris possession d’Arrakis, tandis que la population autochtone, tapie dans les replis du désert, attend l’heure de mener sa guerre sainte.
Machines pensantes
Comme le dit la Bible catholique orange: «Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable»
Les manipulations génétiques inquiètent justement l’époque contemporaine. Près de quarante ans avant le premier séquençage du génome humain, Frank Herbert imagine que l’ordre féminin du Bene Gesserit a passé un millénaire à manipuler les gènes pour produire le Kwisatz Haderach, «celui qui peut être en plusieurs endroits à la fois». Ce sera Paul, prédestiné à devenir le fléau de l’univers.
Autre nouveau souci: l’intelligence artificielle. Dans l’univers de Dune, le problème a été réglé depuis longtemps par le Jihad Butlérien, lancé contre les machines pensantes et les robots conscients. Les ordinateurs ont été remplacés par les Mentats, des hommes aux facultés mentales supérieures. Et la Bible catholique orange de commander: «Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable.»
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