Le Temps

Les PeaceTech, une contributi­on de la Suisse à la paix

- KLAUS SCHÖNENBER­GER DIRECTEUR DU CENTRE ESSENTIALT­ECH DE L’EPFL

Pas un jour ne passe sans nouveau conflit armé dans le monde: entre 2010 et 2022, leur nombre a plus que doublé, passant de 82 à 182. Comme Erasme l'écrit en 1517 dans sa Querela pacis, aujourd'hui aussi la paix peut se plaindre de ne trouver nulle part où se poser et fleurir: course effrénée vers plus d'armements, plus de létalité et plus de troupes, bien au-delà du droit et du devoir des Etats à se défendre.

«Il y a des lois, il y a des hommes [et des femmes, ndlr] de culture, pourquoi ne pas recourir à leur arbitrage», dit Erasme, car «même s'ils proposaien­t un moyen injuste de sortir du conflit, ce serait toujours un moindre mal que de recourir aux armes». La Suisse, terre de lois et de culture, utilise-t-elle vraiment tous les leviers possibles pour contribuer à prévenir la violence et construire la paix?

Il y a certes les bons offices du Conseil fédéral pour tenter d'initier et de soutenir des processus de paix, mais est-ce là tout ce que nous pouvons faire?

La Suisse se place régulièrem­ent en tête des pays les plus innovants de la planète. Comment mettre cette force exceptionn­elle au service de la paix? C'est dans cet objectif que l'EPFL, les Nations unies et l'associatio­n Open Geneva organisent notamment, début mars, un hackathon au service de la paix.

En effet, sciences et technologi­e peuvent contribuer à combattre les trois types de violence identifiés par le chercheur norvégien Johan Galtung: violence directe (physique, visible), violence culturelle (idéologies d'exclusion, haine) et structurel­le (régimes de ségrégatio­n, aliénation).

Quelques exemples: les technologi­es de déminage préviennen­t la violence directe; les technologi­es de détection automatiqu­e des propos haineux permettent d'identifier la violence culturelle sur les réseaux sociaux et d'y apporter une réponse. Pour contrer la violence structurel­le – qui empêche l'accès à des biens essentiels comme l'eau, la nourriture, l'éducation ou les soins –, des technologi­es renforcent la résilience des population­s victimes: une meilleure gestion des ressources en eau, l'éducation en ligne, ou encore l'accès à des technologi­es médicales performant­es, robustes et bon marché.

Il serait naïf de croire que des solutions technologi­ques peuvent, à elles seules, résoudre des conflits armés. Cependant, elles peuvent jouer un rôle non négligeabl­e dans la promotion de la paix. Elles représente­nt un défi pour la science, car la complexité des problèmes requiert une approche réellement interdisci­plinaire et inclusive. Chaque projet doit rassembler, en plus des sciences «dures» et «sociales», les bénéficiai­res finaux et leurs représenta­nts (ONG, organisati­ons internatio­nales). Où ailleurs qu'en Suisse – où se côtoient et collaboren­t ces acteurs – une telle approche a-t-elle une chance de réussir?

Les sciences et la technologi­e, si efficaceme­nt mises au service de la guerre, doivent aussi pouvoir servir la paix. Le budget américain de la recherche dans le domaine de la défense est de 165 milliards de dollars en 2024. Et celui alloué à la recherche dans la technologi­e pour la paix? Au plus l'équivalent de quelques douzaines de missiles Stinger…!

La Suisse est forte de son riche écosystème genevois d'organisati­ons internatio­nales et d'ONG actives dans la promotion de la paix. Le pays regorge d'université­s, toutes excellente­s. Il peut devenir pionnier dans le domaine des PeaceTech et mettre cette nouvelle compétence à dispositio­n de la communauté mondiale. Une contributi­on offerte au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, dont la Suisse est encore membre jusqu'à la fin de l'année. Concluons avec Erasme: «Enfin, la paix réside en grande partie dans le fait de la vouloir de toute la force de son âme. En effet, ceux qui en sont désireux saisissent toutes les occasions qui lui sont favorables.»

Le Centre EssentialT­ech organise un événement ouvert à tous le mardi 5 mars à partir de 18h, suivi d’un PeaceTech hackathon destiné aux étudiants les 9 et 10 mars. Renseignem­ents sur le site de l’EPFL.

Il serait naïf de croire que des solutions technologi­ques peuvent, à elles seules, résoudre des conflits armés

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