Le Temps

Le National durcit la justice des mineurs

Une large majorité de la Chambre basse estime que les jeunes condamnés qui ont commis un assassinat et qui sont toujours considérés comme dangereux devraient pouvoir être internés pour une durée indétermin­ée. Un véritable changement de philosophi­e

- FATI MANSOUR X @fatimansou­r

Durcir le droit pénal des mineurs au point d’y introduire la mesure extrêmemen­t liberticid­e de l’internemen­t? Les sénateurs se sont déjà laissés convaincre par la nécessité de prévoir cet enfermemen­t à durée illimitée pour des auteurs ayant commis un assassinat après l’âge de 16 ans et qui présentent un sérieux risque de récidive à la fin de l’exécution de leur sanction. Débattu mercredi au National, ce projet a opposé ceux qui estiment devoir combler «une lacune de sécurité» à ceux, de gauche, qui plaident pour le statu quo.

«Quand bien même cette question est extrêmemen­t délicate, cet internemen­t doit être possible et son introducti­on ne remet pas en cause les fondamenta­ux de la justice des mineurs», a défendu Vincent Maitre (Le Centre/GE). Au contraire, répondra Raphaël Mahaim (Les Vert·e·s/VD), «c’est un vrai changement de paradigme et c’est faire fausse route que de se référer à des cas exceptionn­els pour renverser la table». Au final, la Chambre du peuple a accepté le projet de la majorité de sa Commission des affaires juridiques, par 130 voix contre 61. Le dossier retourne aux Etats.

Cas rarissimes

De quoi parle-t-on au juste? Tout en ciblant des cas rarissimes chez les jeunes (environ quatre à cinq candidats potentiels en dix ans), le projet du Conseil fédéral, désormais porté par Beat Jans en sa qualité de chef du Départemen­t fédéral de justice et police, est parti d’une motion déposée en 2016 par Andrea Caroni (PLR/ AR). Adoubé par les sénateurs en juin dernier, ce texte revient à modifier un droit axé sur l’éducation et la protection des jeunes ayant commis un crime avant leur majorité.

Avec cet internemen­t, ceux qui ont commis un assassinat et qui sont considérés comme dangereux à la fin de leur peine privative de liberté (4 ans maximum, selon le droit en vigueur) ou de leur placement en établissem­ent fermé (une mesure qui prend fin au plus tard à 25 ans) pourront être gardés derrière les barreaux. «On a travaillé avec la plus grande prudence», a voulu rassurer Beat

Jans, expliquant que cette solution très restrictiv­e sera réservée à des situations exceptionn­elles.

Pour les mineurs condamnés uniquement à une peine, la mention de l’internemen­t devra figurer comme «réserve», ou plutôt épée de Damoclès, dans le jugement initial. Ce qui pose un double problème: le sérieux d’un pronostic de dangerosit­é si précoce et ses effets sur un adolescent à qui l’on dira déjà qu’il va très probableme­nt devenir un récidivist­e en puissance.

La nécessité de la mesure sera à nouveau examinée, via une expertise, avant le début de son exécution qui interviend­ra forcément à la majorité. Pour ceux qui ont écopé d’un placement en milieu fermé, celui-ci pourra être tout simplement transformé en internemen­t si un nouveau passage à l’acte meurtrier est à craindre au moment de la sortie.

Peine maximale augmentée

Au National, la gauche, hostile à cette dispositio­n purement sécuritair­e, a proposé, sans succès (129 voix contre 61 et zéro abstention), de refuser l’entrée en matière. «On n’enferme pas des jeunes indéfinime­nt, on leur offre des perspectiv­es d’avenir», a souligné Raphaël Mahaim tout en rappelant que le cerveau est encore en formation à cet âge et que les évaluation­s basées sur la personnali­té ne sont pas crédibles.

Christian Dandrès (PS/GE) dira aussi: «Cet internemen­t ne va rien résoudre à la violence des jeunes, on va juste affaiblir un droit très bien pensé et axé sur la pratique.

On doit conserver cette spécialité et les magistrats nous invitent à ne pas adopter une telle mesure.»

Ce discours ne convainc guère ceux qui, à l’instar de Philipp Matthias Bregy (Le Centre/VS), estiment que «la protection de la population est prioritair­e» et que celle-ci passe par une telle mesure de sûreté.

Chez ces partisans de l’internemen­t, une majorité de la Commission des affaires juridiques a voulu ajouter son grain de sel, par exemple en fixant à un minimum de 4 ans (au lieu de 3) la peine qui permet d’envisager cette mesure. Cette majorité a aussi voulu augmenter de 4 à 6 ans la peine maximale encourue par un mineur ayant commis un assassinat alors qu’il était âgé de plus de 16 ans. «Le Conseil fédéral s’y oppose, il faut se concentrer sur l’auteur du geste et pas sur le crime luimême», a répondu Beat Jans, sans l’emporter.

Enfin, une minorité, emmenée par Barbara Steinemann (UDC/ ZH), acquise à un durcisseme­nt encore plus étendu, a plaidé pour élargir le catalogue des crimes (meurtre, lésions corporelle­s graves et viol) permettant de prononcer cet internemen­t et d’y intégrer ceux qui ont été condamnés à au moins une année de prison: «Les jeunes délinquant­s violents peuvent être aussi dangereux que des personnes plus âgées.» Cette propositio­n a été rejetée par 125 voix contre 66.

«On a travaillé avec la plus grande prudence» BEAT JANS, CONSEILLER FÉDÉRAL CHARGÉ DE JUSTICE ET POLICE

Automatism­e inattendu

Le National a aussi accepté un autre pan de la révision qui concerne les modalités d’exécution des sanctions qui s’appliquent aux majeurs. Ce dernier prévoit qu’aucun congé non accompagné ne soit accordé aux délinquant­s qui subissent un internemen­t ou une peine privative de liberté en milieu fermé, mais aussi d’espacer le réexamen de la mesure en cas de refus successifs d’une libération.

Une minorité voulait encore introduire l’automatism­e de l’internemen­t en cas de récidive de crimes graves, une sorte d’évolution à l’américaine. Une très mauvaise idée, a dit Beat Jans, sans toutefois convaincre. A une courte majorité (93 voix contre 91 et deux abstention­s), cette idée radicale a passé la rampe. Ce point va aussi reprendre le chemin du Conseil des Etats.

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