Mistral AI, symbole du décrochage européen
La start-up française s’est alliée au géant américain Microsoft et a abandonné partiellement l’open source, suscitant des critiques. Le patron de Mistral AI affirme que son indépendance demeure, mais sa stratégie est critiquée
Cela devait être le champion européen de l’intelligence artificielle (IA), l’exemple montrant que l’on peut tenir tête aux géants américains. Mais au final, la start-up française Mistral AI ne sera-t-elle qu’un simple vassal de Microsoft? Les questions fusent et les critiques pleuvent après les annonces de la société parisienne en début de semaine. Mistral AI a non seulement annoncé un partenariat financier et commercial important avec Microsoft, mais aussi renoncé en grande partie à l’open source pour ses produits d’intelligence artificielle, changeant de manière importante sa stratégie.
D’abord, rappelons ce qu’est Mistral AI. Fondée en avril 2023 par d’anciens responsables de DeepMind, la filiale IA de Google et de Meta, le groupe dirigé par Mark Zuckerberg, Mistral AI est parvenue à lever près de 500 millions d’euros, pour une valorisation de plus de 2 milliards d’euros. Ne comptant que 34 employés, l’entreprise se fait fort de créer des modèles de langage indépendants des géants américains tels Microsoft, Google ou OpenAI, éditeur de ChatGPT. «Nous suivons une ambition claire: créer un champion européen à vocation mondiale dans l’intelligence artificielle», affirmait en 2023 le directeur, Arthur Mensch.
Quinze millions investis
Ce lundi, Mistral AI annonçait son nouveau modèle de langage, Mistral Large, a priori très performant, ainsi qu’un agent conversationnel pour les entreprises, appelé «Le Chat». En parallèle, la société annonçait un double partenariat avec Microsoft. Le géant américain, qui a déjà injecté 13 milliards de dollars dans OpenAI, investira 15 millions d’euros dans Mistral AI. De plus, cette dernière pourra utiliser l’infrastructure cloud de Microsoft. Dernière annonce: la fin de l’open source pour ses modèles les plus puissants, qu’il devient du coup impossible à analyser.
Très vite, la société française, qui avait milité pour un affaiblissement de la réglementation européenne sur l’intelligence artificielle, a été accusée de double jeu. «Au niveau technique et politique au Parlement [européen], nous sommes extrêmement furieux parce que le gouvernement français a avancé pendant des mois cet argument de leadership européen, signifiant que ces entreprises devraient pouvoir se développer sans l’aide des Chinois ou des Etats-Unis», a déclaré Kai Zenner, chef de bureau et conseiller en politique numérique d’Axel Voss, député européen du Parti populaire européen (PPE). Selon lui, Mistral AI affirmait que si ses souhaits n’étaient pas exaucés, la société serait obligée de coopérer avec des sociétés comme Microsoft. «Maintenant, ils ont exaucé tous leurs souhaits, et ils le font quand même et je trouve ça tout simplement ridicule», a poursuivi Kai Zenner.
Mistral… gagnant?
Dans une interview au Monde, Arthur Mensch a défendu l’alliance avec Microsoft: «Nous avons quitté des grandes entreprises américaines et lancé Mistral AI parce que nous pensons justement possible de faire émerger un acteur indépendant et européen. L’investissement de Microsoft fait partie d’un consortium de partenaires intégrés dans nos levées de fonds pour les intéresser à notre succès, mais il est très faible au regard des montants totaux. Enfin, pour le calcul informatique, nous utilisons Microsoft mais aussi d’autres fournisseurs de cloud.»
Une alliance avec Microsoft, Google ou Amazon est-elle impossible à éviter? «Non, répond Sabine Süsstrunk, directrice du Laboratoire d’images et représentation visuelle de la Faculté informatique et communications de l’EPFL. Cela peut sembler être le cas actuellement, mais cela dépend du type d’application que l’on développe. Pour donner un exemple, Meditron est un modèle de langage open source adapté au domaine médical et développé par mes collègues de l’EPFL. Conçu pour aider à guider la prise de décision clinique, c’est actuellement le modèle le plus performant du monde. Il est à espérer que d’autres développements de ce type verront le jour, mais ils nécessiteront un financement substantiel, car le développement de ces modèles requiert beaucoup de ressources informatiques, ce qui est coûteux.»
«Nous avons lancé Mistral AI parce que nous pensons possible de faire émerger un acteur indépendant et européen» ARTHUR MENSCH, DIRECTEUR DE MISTRAL AI
Regards tournés vers l’Allemagne
Selon la spécialiste de l’EPFL, il est encore possible de faire émerger des géants européens dans l’intelligence artificielle: «La question est plutôt de savoir à quelle vitesse. L’Europe et la Suisse peuvent être compétitives, nous avons les connaissances pour le faire. Nous devons simplement nous assurer que nous disposons des ressources humaines et financières nécessaires, et investir dès que possible et à long terme.»
Il faudra voir dans quelle mesure la société française conservera une part d’indépendance. «Mistral AI est à la main de ses fondateurs, majoritaires au capital, et nous comptons garder le contrôle. Globalement, plus de 75% de Mistral AI appartient à des Européens», affirme son directeur.
On observera aussi comment évoluera un autre acteur potentiellement majeur de l’intelligence artificielle en Europe, la start-up allemande Aleph Alpha. En attendant, la Commission européenne va examiner le partenariat entre Microsoft et Mistral AI. Le gendarme européen de la concurrence est inquiet de la domination du marché de l’IA par une poignée de géants américains.
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