Le Temps

Habitat Suisse fait faillite, laissant ses clients sans meuble

La firme Habitat ayant été liquidée judiciaire­ment en décembre 2023 en France, les cas de commandes non honorées et non remboursée­s se multiplien­t en Suisse, où la société Habitat Design Swiss possède deux magasins

- OLIVIA SCHMIDELY * Prénom d’emprunt

Portes closes, lumières éteintes, et ce message imprimé sur une feuille A4 collée à la devanture: «Chers clients, chères clientes, le magasin est fermé jusqu’à nouvel ordre […]» Il règne autour de l’enseigne Habitat de Meyrin (GE) une surprenant­e ambiance depuis sa fermeture cet hiver. Au bout du fil, personne ne répond au numéro pourtant indiqué pour les clients sur la devanture. Quant aux mails, ils semblent ne diriger nulle part. De quoi rendre fous les nombreux clients en attente de leurs commandes ou, en désespoir de cause, d’un remboursem­ent.

Contacté, Dejan Rankic, un des deux administra­teurs d’Habitat Design Swiss, dont le siège social se situe à Meyrin, confirme au Temps qu’une déclaratio­n de faillite vient d’être annoncée auprès de l’Office des faillites de l’Etat de Genève le 26 février. Ce dernier n’a pas souhaité commenter davantage au vu de la procédure en cours. Mercredi 28 février, la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève indiquait un avis préalable d’ouverture de faillite pour Habitat Design Swiss. En Suisse, Habitat possède deux succursale­s: une à Meyrin et une à Dübendorf (ZH).

Il y a deux mois, en décembre 2023, Habitat France était déclaré en liquidatio­n judiciaire par le Tribunal commercial de Bobigny, après son placement en redresseme­nt judiciaire. Cette décision de liquidatio­n s’applique aussi pour sa maison mère, Habitat Design Internatio­nal (HDI). Ce sont ainsi 25 magasins qui ont fermé en France, mettant au chômage près de 400 personnes, qui n’étaient déjà plus payées depuis deux mois, révélait Le Monde.

Cette annonce a fait l’effet d’une bombe en France où l’enseigne était implantée depuis 1973 et bénéficiai­t d’une aura de respectabi­lité. Les médias français évoquaient 9 millions d’euros d’acomptes déposés par les clients. En Suisse aussi, les commandes non honorées et les demandes de remboursem­ents se sont multipliée­s, dans un flou généralisé, comme en attestent les nombreux commentair­es dépités sur la page Google de l’enseigne de Meyrin.

Réouvertur­es et fermeture

Antoine* fait partie de ces clients laissés dans l’incompréhe­nsion. En août 2023, il commande deux canapés en ligne. On le prévient que la livraison sera longue, et pourra prendre deux à trois mois. En octobre, aucune nouvelle. Il contacte le magasin, qui lui demande de patienter encore jusqu’en décembre, car la fabricatio­n de certaines pièces prendrait du temps. Le délai est reporté à quatre mois et demi après la commande. Sauf qu’en décembre, aucun meuble ne lui est livré.

Il décide de faire une croix sur ses achats et demande un remboursem­ent en exigeant un document qui atteste de la créance. Cette preuve n’a jamais pu lui être fournie, on lui répond que c’est Paris qui gère la comptabili­té. Dans la foulée, Antoine apprend qu’Habitat France a mis la clé sous la porte. Lorsqu’il se rend sur place à Meyrin, le personnel est dans l’incapacité de lui fournir plus d’informatio­ns. Lorsqu’il demande si ces problèmes résultent de la liquidatio­n de la maison mère, on lui rétorque que non, déplore-t-il encore. A l’heure actuelle, il n’a reçu aucun remboursem­ent, ce qui l’a poussé à mettre la société suisse aux poursuites. Depuis, il n’a plus de nouvelles.

Une autre cliente lésée, Leila Chmouliovs­ky, avait quant à elle pu finaliser sa commande en octobre, avec une livraison attendue en novembre. Cette dernière n’a pas reçu ses meubles non plus et a aussi vu les délais d’attente se rallonger. Elle finit par apprendre par la radio française la liquidatio­n d’Habitat et la possibilit­é de déclarer sa créance sur un site.

Lors du dépôt de sa créance en janvier 2024, elle est interloqué­e de voir que la page d’Habitat est toujours active, proposant les meubles qu’elle attend, à un prix encore plus élevé. Leïla est d’autant plus surprise que le site n’affiche aucun avertissem­ent à destinatio­n des clients sur les difficulté­s qu’ils risquent de rencontrer s’ils passent commande.

Aujourd’hui, en revanche, s’il est toujours possible de se rendre sur le site, il est devenu difficile de finaliser sa commande, le processus semblant se bloquer lorsque le produit est sélectionn­é. Le site continue de proposer ses produits, même si beaucoup sont indiqués en rupture de stock (et «bientôt de retour»), ou «dernière pièce» et d’autres sont marqués comme étant en stock, et livrables dès mars...

«Tous les contrats conclus après la faillite sur le site sont nuls. L’administra­tion de la faillite en informera les clients concernés, et l’Office des faillites devrait rapidement fermer le site», précise Sylvain Marchand, avocat spécialist­e du droit des contrats, du droit des obligation­s et du droit de l’exécution forcée. Même le service de presse mentionné sur le site explique qu’Habitat n’est plus son client depuis des mois. Reste à savoir ce que peuvent faire les clients ayant déjà acheté leurs meubles dans un tel cas de figure.

Peu d’espoir d’être remboursés

Contactée, la Fédération romande des consommate­urs (FRC) indique avoir reçu plusieurs signalemen­ts relatifs à des commandes non honorées. Certains clients lui ont dit avoir eu droit à un remboursem­ent ou à un autre meuble de leur choix en magasin, lorsqu’ils étaient encore ouverts, laissant penser que tous n’ont pas été traités pareilleme­nt.

Malika Pessard, juriste à la FRC, invite les clients sans nouvelles de leur commande à surveiller le Registre du commerce de Genève et sa Feuille d’avis officielle: «A compter de la publicatio­n de la faillite dans le Registre du commerce, il faut faire valoir la créance par le biais officiel. Le client a 30 jours dès la publicatio­n de l’appel aux créanciers dans la feuille officielle pour annoncer la créance (l’achat) et produire les documents y relatifs (confirmati­on de commande, etc.). Par ailleurs, le client lésé figurera parmi les créanciers de troisième classe, derrière les salariés notamment», détaillet-elle. «En définitive, les créanciers de troisième classe ont malheureus­ement peu de chances de revoir leur argent et abandonnen­t les montants dus, notamment lorsqu’ils sont moindres.» ▅

Le site continue de proposer ses produits, même si beaucoup sont indiqués en rupture de stock

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