«L’ONU n’était pas à l’origine du convoi»
Selon Philippe Lazzarini la distribution d’aide, durant laquelle des dizaines de Palestiniens sont morts, dans le nord de Gaza, a été organisée par Israël. Le chef de l’UNRWA dénonce «une famine entièrement fabriquée, qui pourrait être aisément évitée»
«Absolument choquant.» L’UNRWA était à court de mots hier pour qualifier ce qui semble être un nouveau carnage à large échelle commis dans la bande de Gaza. Le chef de l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens, Philippe Lazzarini, a rappelé hier devant quelques journalistes que l’UNRWA n’avait plus accès, depuis plus de cinq semaines, au nord de l’enclave palestinienne où s’est produit le drame. Auparavant, trois de ses convois humanitaires avaient été pris pour cible par l’armée israélienne dans la même région.
L’UNRWA, qui constitue la principale plateforme par laquelle l’aide parvient à atteindre l’enclave, a vu à plusieurs reprises ses demandes refusées par Israël pour atteindre le nord de Gaza. Dans une région largement en ruine, des centaines de milliers de personnes sont désormais menacées par la famine. «Même le fourrage et les aliments pour animaux, auxquels les Gazaouis ont été obligés de faire recours, sont aujourd’hui épuisés», affirme le commissaire général de l’UNRWA.
Le règne du chaos
L’agence de l’ONU était dans l’incapacité, hier, de savoir qui avait dépêché dans la région les camions qui ont été pris d’assaut par des centaines de personnes. Il s’agissait d’un «contractant privé», glisse-t-on. Un langage crypté signifiant que l’initiative en revenait sans doute à Israël afin, peut-être, de favoriser le réseau d’obligés et d’informateurs locaux qu’Israël maintient depuis toujours à Gaza. Se disant menacée, l’armée israélienne a reconnu avoir ouvert le feu sur la foule, même si elle assure que la plupart des victimes auraient été écrasées par les camions à la suite d’un mouvement de panique.
Voilà des semaines que l’UNRWA, à l’unisson d’autres organismes d’aide, alerte sur le «chaos» qui, au-delà de la faim, commence à régner un peu partout à Gaza. Les policiers, qui sont des fonctionnaires publics et ne dépendent pas du Hamas, n’apparaissent plus nulle part en uniforme, craignant d’être pris pour cible par les soldats israéliens ainsi que par les débordements de la population affamée. Même les chauffeurs des camions rechignent désormais à s’aventurer à Gaza. «Ils craignent d’être arrêtés, interrogés, humiliés ou violentés aux passages de sécurité israéliens», affirme le chef de l’UNRWA.
Dans le sud de l’enclave palestinienne, autour de Rafah, plusieurs convois d’aide ont été pillés dès leur entrée en territoire palestinien. «Les jeunes hommes sautent sur les camions et tentent de s’emparer d’un carton d’aliments, de couvertures ou de bouteilles d’eau pour les distribuer à leur famille. Cela n’a rien à voir avec de quelconques pillages organisés», expliquait Philippe Lazzarini à Jérusalem,
avant de rejoindre la capitale jordanienne, Amman, où se trouve le QG de l’agence onusienne.
«Si une volonté politique existait, il serait possible de garantir une assistance à Gaza» PHILIPPE LAZZARINI, CHEF DE L’UNRWA
Un démantèlement de l’UNRWA
Le gouvernement israélien défend désormais officiellement l’idée d’un démantèlement de l’UNRWA, qu’il accuse d’avoir partie liée avec le Hamas. Il allègue qu’une douzaine de ses employés auraient joué un rôle dans la tuerie du 7 octobre. Une enquête sur cette question a été lancée au sein de l’ONU, mais d’ores et déjà Philippe Lazzarini a été déclaré «persona non grata» au sein des institutions israéliennes.
Les responsables israéliens répètent à l’envi que d’autres agences humanitaires pourraient prendre le relais de l’UNRWA pour venir en aide aux Gazaouis. Une ouverture de passages supplémentaires pour les convois a été évoquée par Israël dans le nord de Gaza. De l’aide humanitaire, en faible quantité, a aussi été larguée par air, à l’initiative de la Jordanie et de la France. Une solution qui, aux yeux du chef de l’UNRWA, n’en est pas une: au-delà du prix exorbitant, aucune garantie de réception et de distribution n’est envisageable.
«Nous assistons à une famine entièrement fabriquée, qui pourrait être aisément évitée», résume Philippe Lazzarini. Le nombre de camions d’aide humanitaire qui passent à travers les contrôles israéliens ne dépasse plus que très rarement les 100 par jour, soit moitié moins qu’il y a un mois. Avant la guerre actuelle, ils étaient entre 500 et 600, dans une situation qui était déjà dénoncée comme un siège strict de l’enclave où vivent plus de 2 millions de personnes. Il faut 7 ou 8 jours aux véhicules pour parcourir les derniers 50 kilomètres, constate le chef de l’UNRWA, et un bon nombre d’entre eux doit faire demi-tour après que leur contenu a été refusé par les autorités israéliennes. «Si une volonté politique existait, il serait possible de garantir une assistance à Gaza, cela ne dépend pas de considérations techniques», a renchéri Philippe Lazzarini. De quoi éviter la famine et les tragédies comme celle que vient de vivre le nord de l’enclave.
■