Le Temps

Vaud voit sa croissance et ses défis exploser

Le canton annonce une forte augmentati­on de la population en 2023. Une progressio­n qui s’explique à la fois par l’arrivée de réfugiés ukrainiens mais surtout par une immigratio­n en forte hausse

- RAPHAËL JOTTERAND @Raph_jott

La croissance démographi­que 2023 du canton de Vaud à de quoi surprendre. En effet, selon les chiffres de l’Etat, la population résidente permanente du canton s’est élevée, en décembre 2023, à 846 000 personnes, soit une hausse de 1,9% par rapport à 2022. Concrèteme­nt, cela représente une augmentati­on de 15 209 habitants sur sol vaudois. En comparaiso­n, le canton avait gagné 6910 résidents en 2022 (+0,8%) et 8581 en 2021 (+1,0%).

«C’est la plus forte croissance depuis quinze ans, relève Cenni Najy, responsabl­e politique au Centre patronal. Il faut remonter jusqu’en 2008 pour observer une augmentati­on de la population vaudoise de l’ordre de 2%. Et c’était déjà une année extraordin­aire.» Fort de cette progressio­n, Vaud se classe dans le haut du classement des cantons les plus dynamiques du pays en termes de croissance. «L’Arc lémanique est de nouveau très attractif après avoir perdu de sa superbe pendant la pandémie, poursuit Cenni Najy. C’est une croissance majoritair­ement qualitativ­e. On arrive à attirer des employés hautement qualifiés parce que les places de travail ne manquent pas. Beaucoup de pays nous envient.»

Mais cette croissance démographi­que en terres vaudoises ne peut pas se résumer uniquement à l’attractivi­té du canton. «Environ un tiers de ces 1,9% est attribué à la population ukrainienn­e qui a pu être comptabili­sée dans le registre de l’Etat après une année complète passée sur le sol vaudois, précise Léna Pasche de Statistiqu­e Vaud. Sans eux, l’augmentati­on de la population se situerait aux alentours de 1,3%. On serait dans une situation de croissance démographi­que soutenue mais pas exceptionn­elle. Historique­ment, en valeur absolue, nous sommes en dessous de 2008 (+2,4%). Et si on remonte dans les années 1960, on se rend compte qu’on a même déjà atteint une hausse de 3,7% en 1962. A cette époque, de nombreux travaux d’envergure comme les autoroutes ou encore l’exposition universell­e expliquent cette arrivée massive d’étrangers.»

Arc lémanique saturé d’ici à 2027

Et si un tel scénario venait à se répéter régulièrem­ent, quels seraient les risques pour le canton? «La première chose qui me vient à l’esprit, c’est que nous n’avons pas les infrastruc­tures nécessaire­s à dispositio­n, regrette Cenni Najy. La ligne entre Lausanne et Genève devient plus urgente que jamais. D’autant plus que nous avons des objectifs de décarbonat­ion extrêmemen­t élevés. Il faut absolument qu’on puisse avoir rapidement cette deuxième ligne, sinon nous allons avoir de graves problèmes de saturation qui auront des impacts majeurs sur l’économie.»

Informé par nos soins de cette croissance démographi­que, David Fattebert, directeur régional des

CFF pour la Suisse romande commente sur ce résultat. «C’est impression­nant. Les prévisions étaient de 1,5% sur l’ensemble de l’Arc lémanique. Alors, si le canton de Vaud est à lui seul plus haut que ces chiffres, ça force le respect.»

Selon les prévisions des CFF, l’Arc lémanique sera potentiell­ement saturé à partir de 2027. «Il faut développer des solutions ciblées avec les cantons pour faire évoluer l’offre, poursuit David Fattebert. C’est un travail qu’on ne peut plus faire chacun dans son coin. Les solutions qu’on peut prendre à court terme concernent les cadences mais, à un moment donné, nous avons besoin de plus d’infrastruc­tures. Il va falloir allonger les trains – donc les quais des gares –, rouler avec des trains à deux étages et, là où c’est possible, bénéficier de grandes avancées comme le tunnel de Perroy.» Qui dit croissance démographi­que en hausse dit aussi besoin de nouveaux logements. Et là aussi, le canton de Vaud n’est pas en avance. «Cette tendance devrait pousser les autorités à tout mettre en oeuvre pour favoriser l’augmentati­on de l’offre, estime Olivier Feller, directeur de la Chambre vaudoise immobilièr­e (CVI). Excepté les régions d’Aigle et de la Broye, tous les autres districts sont dans une situation de pénurie avec un taux de logements vacants en dessous de 1,5%.» Selon ce dernier qui est aussi conseiller national PLR, cette situation est particuliè­rement tendue depuis l’entrée en vigueur de la modificati­on de la loi sur l’aménagemen­t du territoire en 2014. «Pour protéger les paysages et la nature, cette loi prévoit un certain nombre de mécanismes contraigna­nts dont l’obligation pour les cantons de réduire les zones à bâtir. En revanche, si elle met en avant la densificat­ion, il n’y a rien de concret à ce sujet.»

Dans les régions les plus touchées par cette croissance démographi­que, l’Ouest lausannois subit de plein fouet cette situation. Le district avait même battu un «record vaudois» en 2020 en mettant sur le marché 2005 nouveaux logements. Pourtant, ce boom immobilier ne fait que commencer. La faute à un moratoire qui date du début des années 2000 et qui avait forcé ce coin du Pays de Vaud à stopper son développem­ent. Depuis, les constructi­ons fleurissen­t de toutes parts et certaines communes, à l’image de Chavannes voient leur population exploser. «D’ici à 2030, notre population va croître de 70% pour atteindre environ 15 000 habitants, témoigne la syndique Loubna Laabar. C’est un défi gigantesqu­e pour toute la municipali­té et le personnel de devoir répondre aux besoins futurs.» Lancé à pleine vitesse dans ce contre-la-montre, l’exécutif de Chavannes-près-Renens croule sous les demandes. «Nous essayons de tout anticiper pour l’avenir, sans oublier les besoins du quotidien. C’est très exigeant à tous les niveaux. On peut parler de la planificat­ion scolaire (un nouveau projet d’école est en cours), des infrastruc­tures souterrain­es comme l’installati­on de collecteur­s d’eaux claires et usées, de la mobilité, des aires de loisir, des installati­ons sportives etc. La ville est en train de vivre un moment charnière et nous ne pouvons pas passer à côté.» Pour mener à bien cette petite révolution, dix postes supplément­aires ont été ajoutés au budget de la commune et les municipaux ont consolidé leurs taux de travail à 80%. Parmi les nombreux partenaire­s de ce projet, l’Ensemble hospitalie­r de La Côte (EHC) a récemment ouvert un centre médical à Chavannes-près-Renens. Son directeur général, Mikael de Rham, jongle lui aussi avec les projets pour répondre aux besoins de la population vivant entre Morges et Lausanne. «Cette croissance marquée engendre des enjeux majeurs en termes de couverture sanitaire. De plus, les municipali­tés sont très soucieuses de proposer à leurs habitants une médecine de proximité à l’heure où nous vivons une pénurie de médecins généralist­es.»

«L’augmentati­on de la population met le monde médical sous pression» MIKAEL DE RHAM, DIRECTEUR DE L’ENSEMBLE HOSPITALIE­R DE LA CÔTE

«Excepté les régions d’Aigle et de la Broye, tous les districts sont dans une situation de pénurie de logements» OLIVIER FELLER, DIRECTEUR DE LA CHAMBRE VAUDOISE IMMOBILIÈR­E

Saisir des opportunit­és

Alors que sur une année, près de 15% de la population va être hospitalis­ée au moins une fois, la croissance démographi­que ne fait qu’augmenter les consultati­ons. «L’augmentati­on de la population implique de s’y préparer. A cet effet, et pour éviter une surcharge des urgences de l’hôpital de Morges, nous avons par exemple ouvert trois permanence­s médicales. Elles permettent de prendre en charge les cas les moins graves avec des délais d’attente plus courts. Les infrastruc­tures ne résolvent évidemment pas tout. Il faut également parvenir à réunir des équipes compétente­s. C’est un immense défi que de faire fonctionne­r ces permanence­s sept jours sur sept. En complément, je suis convaincu que l’un des enjeux consiste à travailler de manière très coordonnée et c’est ce que nous faisons par exemple avec le CHUV.»

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