Le Temps

Valse-hésitation au parlement pour réduire le niveau de CO2

Droit de polluer à l’étranger, aide pour les bornes de recharge électrique: le Conseil des Etats a retouché la loi issue du Conseil national en plusieurs points

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Trop compliquée, trop contraigna­nte, la loi sur le CO2 version 2021 avait été refusée par les Suisses dans les urnes. Le parlement a compris le message. Depuis cet échec initial, les élus ont choisi d’agir par touches successive­s et non plus dans un texte unique. En juin 2023, le peuple a approuvé la loi climat, qui fixe l’objectif de «zéro émission nette» de gaz à effet de serre en 2050, mais ne dit pas comment y parvenir. C’est le rôle de la loi CO2 nouvelle façon qui est revenue hier devant le Conseil des Etats, avant de rebondir au Conseil national lundi prochain. Le texte porte sur la période 2025-2030. La loi actuelle prend fin dans dix mois et les deux Chambres peinent à se mettre d’accord sur le niveau de contrainte et le coût financier que doit représente­r la nouvelle législatio­n.

Selon l’Accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de moitié d’ici à 2030, par rapport à leur niveau de 1990. Pour y parvenir, le parlement a déjà offert au Conseil fédéral la souplesse de pouvoir compenser hors de Suisse les émissions indigènes. Un des enjeux de la loi débattue est de confirmer que 75% de l’effort doit porter sur des solutions en Suisse et que 25% du niveau de pollution helvétique pourra être couvert par ces «transferts de réductions réalisées à l’étranger», comme l’a voulu le Conseil national.

Profits en Suisse, pas au Pérou

Cette stratégie est critiquée notamment par Caritas. L’ONG a commandité une étude sur les compensati­ons au Pérou, un des 14 pays sur lesquels la Suisse s’appuie. La Confédérat­ion a conclu en octobre 2020 avec le Pérou le tout premier accord bilatéral au monde sur la protection du climat. Il s’agit d’installer d’ici à 2030, 60 000 cuisinière­s à haute efficacité énergétiqu­e dans les foyers des trois régions, sur les hauts plateaux du centre du Pérou. Si l’étude identifie une série d’effets positifs sur place notamment sur la santé des participan­ts, la critique porte sur le fait que la Suisse «choisit un pays moins prospère pour atteindre ses propres objectifs climatique­s à moindre coût».

Autre remarque: les réductions de gaz à effet de serre que la Suisse revendique avec ce projet ne peuvent pas être utilisées par l’Etat péruvien pour atteindre son propre objectif de baisse. «Le Pérou doit donc gérer les émissions qui sont plus complexes à réduire», regrette l’ONG.

Le financemen­t de ce transfert est assuré par la Fondation Klik, qui regroupe les membres de l’Union pétrolière suisse. Il permet aux importateu­rs suisses de carburant de remplir leurs obligation­s tout en maintenant une taxe basse de 5 centimes par litre d’essence. Dans le domaine des transports, où le potentiel de réduction de gaz à effet de serre est le plus grand, ce système permet donc d’éviter de changer des habitudes polluantes, regrette l’ONG, qui demande que la Suisse ne compense plus ses émissions indigènes par des achats à l’étranger dès 2030.

Au Conseil des Etats, cette argumentat­ion n’a pas eu de poids. La majorité des sénateurs sont décidés à maintenir un système autorisé dans les textes internatio­naux. Ils sont d’avis que deux tiers de l’effort doivent être faits en Suisse, sans vouloir fixer de part explicite dans la loi. Les émissions de CO2 ne connaissan­t pas de frontières, «cela ne change pas grand-chose si elles sont compensées en Suisse ou à l’étranger», a estimé le Thurgovien UDC, Jakob Stark.

Un lent virage vers l’électrific­ation du trafic routier

«Les émissions de CO2 ne connaissan­t pas de frontières, «cela ne change pas grandchose si elles sont compensées en Suisse ou à l’étranger» JAKOB STARK, DÉPUTÉ THURGOVIEN UDC

L’autre enjeu de la loi concerne le trafic routier, un domaine qui émet 38% des gaz à effet de serre en Suisse. L’électrific­ation étant en cours, le Conseil national avait approuvé 20 millions d’aide pour multiplier les bornes de recharge dans le pays. «L’installati­on des infrastruc­tures va trop lentement», a confirmé le ministre des Transports et de l’Environnem­ent, Albert Rösti, devant les sénateurs. En vain.

Les importatio­ns de voitures de tourisme neuves sont aujourd’hui soumises à des valeurs cibles calculées sur leurs émissions de CO2. A quelle vitesse faut-il faire évoluer ce quota? Les sénateurs sont d’avis qu’il ne faut pas aller plus vite que les réglementa­tions européenne­s, alors que les députés avaient fixé des échéances plus contraigna­ntes afin de faire baisser par étapes les émissions de ce parc neuf.

Dernier sujet de discorde: la redevance poids lourds. La réduire pour l’utilisatio­n de camions électrique­s ou de carburants renouvelab­les fera perdre des milliards à la Confédérat­ion, a argumenté la majorité du Conseil des Etats pour contrer le Conseil national, qui avait voté une telle mesure.

Les deux Chambres ont tout de même retiré de la loi une dispositio­n du Conseil fédéral qui voulait qu’une part de carburants renouvelab­les soit proposée à la pompe. L’augmentati­on anticipée de 5 centimes par litre pour les carburants a fait craindre un référendum. Elles sont également tombées d’accord pour encourager le transport ferroviair­e transfront­alier et les trains de nuit à hauteur de 30 millions de francs. Lundi, le Conseil national devra se déterminer sur les changement­s apportés par le Conseil des Etats.

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