Le Temps

Guerre ou paix en Ukraine

Dès qu’une voix modérée ose se faire entendre pour évoquer un processus de paix, elle est jugée collaborat­ionniste, voire munichoise

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON ENTREPRENE­USE ET ESSAYISTE MH.MIAUTON@BLUEWIN.CH

Emmanuel Macron a suscité une désapproba­tion générale en évoquant l’éventualit­é d’envoyer des troupes en Ukraine. Selon lui, tout est envisageab­le pour empêcher une victoire de la Russie, y compris intervenir directemen­t dans le conflit au sol en devenant cobelligér­ant. Ses collègues européens, ses amis politiques et ses adversaire­s unanimes ont condamné les propos irresponsa­bles de celui qui, en juin 2022, recommanda­it de ne pas «humilier la Russie pour que le jour où les combats cesseront, nous puissions bâtir un chemin de sortie par les voies diplomatiq­ues.»

Outre le président français, et alors même que la victoire de l’Ukraine semble pour l’instant compromise, les va-t-en-guerre abondent, emmenés par Mme von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Dans ce contexte, dès qu’une voix modérée ose se faire entendre pour évoquer un processus de paix, elle est jugée collaborat­ionniste et pour tout dire munichoise. Comme s’il était impossible d’aspirer à un cessez-le-feu sans être prorusse! Au lieu de se référer toujours à Daladier et Chamberlai­n, signataire­s des Accords de Munich, repensons aux prémices de la Première Guerre mondiale. Les jeunes soldats, convaincus d’une victoire facile par des dirigeants irresponsa­bles, partaient en chantant, la fleur au fusil, acclamés par des femmes et des enfants persuadés de les revoir bientôt. Dix-huit millions de morts plus tard, par moitié militaires et civils, osons dire que les gouverneme­nts de l’époque, dépassés par les évènements et soucieux de ne pas perdre la face, ont conduit leurs peuples à la boucherie. Dans laquelle de ces deux situations sommes-nous?

Les arguments avancés par les partisans d’une prolongati­on de la guerre sont plus ou moins convaincan­ts. Un, la Russie a déclenché l’invasion, elle doit être punie. C’est juste, évidemment, mais n’est-il pas temps de trouver des solutions négociées avant, au mieux, un enlisement mortifère, au pire, le grignotage continu de l’Est ukrainien? Deux, l’Ukraine est aux portes de l’Europe et l’UE a donc le devoir de la défendre. C’est encore vrai, mais alors Macron a raison: il faut s’engager physiqueme­nt à ses côtés, ce que personne ne semble apparemmen­t souhaiter. Trois, contre une Russie autocrate et liberticid­e, les Ukrainiens se battent pour sauver nos valeurs de liberté. C’est moyennemen­t vrai, car le courage nationalis­te admirable de l’Ukraine ne signifie pas que sa démocratie soit un modèle ni ses conception­s humanistes similaires aux nôtres. Pour preuve, l’UE est consciente d’avoir fort à faire pour que son adhésion soit possible. Quatre, si on ne l’arrête pas fermement, la Russie envahira d’autres pays d’Europe, ce que de nombreux spécialist­es infirment, arguant que seul un Poutine suicidaire attaquerai­t l’OTAN. Mais, si ce risque existe, est-il préférable d’interrompr­e la guerre ou de la poursuivre, sachant que l’Occident manque cruellemen­t de matériel à fournir à l’Ukraine?

Au-delà de ces considérat­ions honorables, d’autres raisons moins avouables peuvent inciter à prolonger le conflit. Un, épuiser économique­ment et socialemen­t la Russie afin, comme le disent les néoconserv­ateurs américains, qu’elle ne puisse plus jamais se relever. Pourtant, jusqu’ici, la politique des sanctions a plutôt enrichi les Etats-Unis au détriment des économies et des peuples européens. Deux, renforcer l’OTAN, hier en «mort cérébrale» et désormais reprise en main fermement sous le haut commandeme­nt américain. Trois, souder l’UE autour d’un projet rassembleu­r et contre un ennemi commun, afin d’amorcer une fédéralisa­tion dont les peuples ne veulent pas. Quatre, très cyniquemen­t, faire tourner les usines d’armement, ce qui n’a pas l’air de déranger les socialiste­s et les Verts d’Europe, devenus ardents belliciste­s après avoir été des pacifistes militants.

Sachant que toute guerre appelle une paix, et pour nous montrer dignes des vertus que nous revendiquo­ns, il faut s’employer à faire taire les canons et tenter des négociatio­ns, toutes fâcheuses soient-elles, avant que ne tombe le dernier Ukrainien.

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