A Vidy, Susanne Kennedy libère Angela de sa prison
Dans une esthétique de jeu vidéo, l’artiste britannique raconte le monde des réseaux sociaux et comment sortir de cette aliénation. Fascinant d’abord, lassant ensuite
Des enfilades de murs recouverts de graffitis avec, à intervalle régulier, un cadavre au sol. Des meubles de cuisine couleur fluo qui fondent à vue d’oeil. Des forêts aux branches en technicolor qui flambent. Ou encore des plantes vertes et des étagères qui tremblent. Angela (a strange loop), un spectacle de Susanne Kennedy à voir à Vidy-Lausanne jusqu’à vendredi, ne serait rien sans les images entêtantes de Markus Selg courant en fond de scène.
C’est en effet plongé dans un univers de jeu vidéo que le public suit les aventures étranges, parfois lunaires, d’Angela, jeune influenceuse victime d’une maladie nerveuse qui, dans la seconde partie du spectacle, messianique et perchée, accouche d’elle-même pour, semble-t-il, sauver l’humanité…
Des individus augmentés
Susanne Kennedy est considérée comme une des voix les plus singulières de la scène européenne actuelle. A chacune de ses prestations, dans les grands festivals et les institutions d’importance, la presse salue sa capacité à capter et à restituer notre époque aux identités conditionnées, diffractées et/ ou augmentées.
Sa signature? Montrer le fossé entre les sujets et leur réalité. Dans un précédent travail, Warum läuft Herr R. Amok?, l’artiste britannique installée en Allemagne racontait notre quotidien étriqué à travers des personnages déshumanisés qui portaient un masque sans expression et dont les voix provenaient d’un play-back assumé. Façon de souligner le peu de marge de manoeuvre laissée par notre société qui prône une liberté de façade tout en assignant à chacun des rôles prédéterminés.
On retrouve très fort cette idée d’aliénation et d’artificialité dans Angela (a strange loop). Le décor déjà. Un intérieur froid aux meubles jaune fluo, surmonté d’une banderole qui répète plusieurs fois, en grand et en rouge, «EXIT», claire allusion aux jeux vidéo. L’héroïne de cet univers technoïde? Angela (Ixchel Mendoza Hernandez), une
Le décor représente un intérieur froid, surmonté d’une banderole qui répète plusieurs fois «EXIT», claire allusion aux jeux vidéo.
influenceuse qui s’est fait connaître en racontant l’évolution de sa maladie nerveuse dont elle souffre depuis ses 14 ans.
Recluse dans son appartement, la jeune femme ne s’anime que lorsqu’elle poste des stories pour ses abonnés. Alors sa voix se colore et son visage s’éclaire. Sinon, Angela évolue comme un zombie dans son intérieur aseptisé. Et la règle vaut aussi pour ses visiteurs.
Son boyfriend Brad (Dominic Santia), sorte de Ken aux gestes robotiques. Susie, la proche amie (Tarren Johnson) qui, en tenue de camouflage et bottes d’esquimau, dit «oh my gosh» comme une poupée. Plus étrange encore, la mère d’Angela (Kate Strong), sorte de Hobbit maléfique qui, elle aussi, découpe artificiellement ses gestes et ses mots en ne montrant aucune empathie pour sa fille.
Dans le même esprit virtuel, les portes, au son amplifié, font «bam» chaque fois qu’une pénètre dans cette prison et lorsque le couple mange, une nourriture forcément transformée et livrée à domicile, leurs bruits de mastication constituent la seule conversation.
Ainsi traitée par Susanne Kennedy, la première partie
Les voix atones, les mouvements limités, les regards fuyants: tout nous rappelle d’éteindre nos écrans
excelle à montrer la standardisation d’une société inféodée aux réseaux sociaux et aux pratiques consensuelles. Elle montre aussi le vide intérieur que laisse ce flot de communication uniformisé. Les voix atones, les mouvements limités, les regards fuyants: tout nous rappelle d’éteindre nos écrans.
Un ange nommé Person
Ensuite, à la faveur de l’apparition d’un ange qui se nomme Person et dont la flèche est un archet, (la violoniste et chanteuse Diamanda La Berge Dramm), Angela va s’émanciper. Ou plutôt s’échapper par le haut, puisque c’est sa mort par les flammes après avoir accouché d’elle-même qui va lui permettre de renaître de ses cendres… Alors, sur le mode heroic fantasy, commence une épopée new age qui va amener la jeune femme à l’éveil de sa spiritualité. On croit même comprendre que cette renaissance pourrait sauver l’humanité…
C’est à ce moment que défilent en fond de scène les images d’extérieur, ouvrant la prison d’Angela sur un monde d’abord urbain et agressif, puis sauvage et régressif. Ou comment retourner dans le
ventre (en fusion) de la terre pour retrouver un sens à son existence. Au pied d’un totem vert, la jeune femme entre en danse, voire en transe et semble convoquer les forces de l’univers.
Cette seconde partie est séduisante sur le plan esthétique avec cette profusion d’images psychédéliques signées Markus Selg, mais moins convaincante au niveau de la fable. On finit par se lasser de la soupe new age, quand bien même le chant de l’ange ensorcelle.
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