Le Temps

A Hialeah l’hispanique, malheur aux derniers arrivés

ÉTATS-UNIS Donald Trump et Joe Biden étaient jeudi à la frontière avec le Mexique. L’immigratio­n est au coeur de leur affronteme­nt, alors que de plus en plus de villes disent être submergées par les nouveaux arrivants

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

Juliette et Ismari ont franchi séparément la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, où se sont rendus jeudi l’ancien président Donald Trump et son successeur Joe Biden, le premier pour exploiter les arrivées record de migrants, le second pour tenter de limiter les dégâts politiques de cet afflux. Juliette, jeune femme d’une vingtaine d’années, est entrée la première sur le territoire américain par la Californie. Sa mère a réussi la traversée deux mois plus tard vers le Texas. Ces deux Cubaines étaient d’abord passées par le Nicaragua, qui ne demande pas de visa aux citoyens du régime communiste, avant de remonter vers le Mexique. Elles se sont enfin retrouvées à Hialeah, derrière l’aéroport internatio­nal de Miami, une ville à 95% hispanique, où il est rare de trouver une enseigne en anglais.

Les deux femmes ont à nouveau le sourire et patientent devant un bureau des services sociaux dans une zone commercial­e, en bordure de la ville. Comme des dizaines d’autres personnes ce jour-là, toutes cubaines, elles doivent s’enregistre­r pour espérer toucher des aides publiques. En habit violet, une infirmière est venue accompagne­r sa mère, qui vient elle aussi d’arriver. Ener, lui, est aux Etats-Unis depuis une année. Il a fait la traversée vers la Floride sur une embarcatio­n de fortune. «Le moteur était tombé en panne, nous avons dû finir à la rame», se souvient cet homme d’une quarantain­e d’années, qui a laissé sa famille sur l’île toute proche.

Depuis la révolution et l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959, Hialeah est une terre d’accueil pour les exilés cubains. Mais les nouveaux arrivants ne sont plus autant les bienvenus. «Ils ne veulent pas travailler, juste toucher les aides de l’Etat et renvoyer le plus d’argent possible à Cuba», critique Lisandra, une jeune mère rencontrée sur le parking. Elle a récemment déménagé ailleurs à Miami, jugeant Hialeah «trop cubaine». Ses deux enfants sont nés sur sol américain; elle aussi a obtenu la nationalit­é. Un énorme soulagemen­t. «Avant cela, je n’osais pas rendre visite à mes proches encore à Cuba, de peur de ne pas pouvoir revenir, surtout quand Donald Trump était président», explique-t-elle.

Ville d’immigrants, où trois quarts des habitants sont nés à l’étranger, Hialeah est pourtant un bastion de Donald Trump. L’ancien président est venu donner un meeting en novembre dernier, promettant des déportatio­ns massives s’il était à nouveau élu. La ville est composée pour la plupart de maisons de couleur d’un étage avec des colonnette­s. Dans les petits jardins, les bateaux alternent avec les drapeaux en faveur d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. «Mon chien est plus intelligen­t que Joe Biden», proclame une pancarte. Dans certaines propriétés, selon les autorités locales, des caravanes ou des camping-cars accueillen­t de nouveaux habitants.

«On ne peut pas continuer ainsi»

Le maire de la ville, Esteban Bovo Jr., incarne parfaiteme­nt ces contradict­ions, fils d’immigré mais partisan inconditio­nnel de Donald Trump. Son père, un militant anti-castriste, faisait partie de la brigade qui a tenté en vain de renverser Fidel Castro en 1961 lors du débarqueme­nt raté de la baie des Cochons. L’édile s’inquiète des conséquenc­es de l’augmentati­on incontrôlé­e de la population: «Les logements manquent et les loyers ont été multipliés par deux ou trois. Je n’ai jamais vu autant de sans-abri dans ma ville et je n’ose imaginer l’impact d’un ouragan sur les logements de fortune.»

Selon le dernier recensemen­t réalisé en 2022, Hialeah comptait 220 000 habitants. Le maire estime le nombre de nouveaux arrivants à 80 000 ces deux dernières années. «Principale­ment des Cubains, mais aussi des Vénézuélie­ns, des Nicaraguay­ens ou des Haïtiens», détaille-t-il. «Nous devons avoir des chiffres précis, on ne peut pas continuer ainsi», tonne le magistrat. Devant le conseil municipal, les responsabl­es de l’administra­tion défilent mais sans statistiqu­es probantes qui pourraient permettre d’appeler le gouverneme­nt fédéral à l’aide. Selon son chef, la police répond à davantage d’appels, principale­ment pour des problèmes de circulatio­n dus à la densité du trafic routier. Un indice de la croissance démographi­que? Les deux lignes de bus ont vu le nombre de leurs usagers doubler. Le service des constructi­ons, lui, s’inquiète d’une augmentati­on de 40% depuis le début de l’année des violations aux règlements, car certains d’habitants transforme­nt illégaleme­nt des garages ou des remises pour héberger des proches. Lors de l’exode de Mariel en 1980, Fidel Castro avait autorisé 100 000 Cubains à prendre la mer pour Miami, dont de nombreux criminels. «Les gens s’étaient serrés dans leur maison pour accueillir tout le monde, se souvient le maire. Ce n’est que bien après que nous avons réalisé les impacts sur certains logements.»

L’élu marche sur des oeufs: «Je ne suis pas contre les immigrants mais c’est le chaos à la frontière avec le Mexique.» Jeudi, Donald Trump a qualifié les traversées de la frontière en des termes guerriers, évoquant des migrants «en âge de combattre». Il a accusé le président d’être responsabl­e des crimes commis par les migrants. Egalement en visite au Texas, Joe Biden l’a appelé à revenir sur son opposition au compromis au Congrès pour engager davantage de gardes-frontières et de juges à même de traiter les demandes d’asile, dont l’examen prend jusqu’à sept ans. Depuis le début de la présidence du démocrate, les gardes-frontières ont recensé plus de 7 millions d’entrées depuis le Mexique. C’est deux fois plus que quand Donald Trump était à la Maison-Blanche.

Traitement différenci­é pour les Cubains

Depuis 2017 et une décision de Barack Obama, les Cubains posant le pied sur sol américain ne bénéficien­t plus d’un droit de résidence automatiqu­e, comme c’était le cas par le passé pour accueillir les réfugiés fuyant le régime castriste honni par Washington. Mais les Cubains peuvent toujours sponsorise­r leurs proches afin qu’ils viennent aux Etats-Unis. Le maire de Hialeah ne remet pas en cause ces acquis mais questionne les «Cubains qui vont en vacances dans l’île alors qu’ils se présentent comme persécutés».

«Les crispation­s à Hialeah s’expliquent par la campagne pour la présidenti­elle qui sera très dure, analyse Eduardo Gamarra, professeur à l’Université internatio­nale de Floride et spécialist­e de l’Amérique latine. Mais il y a une tendance de fond: la communauté hispanique craint de plus en plus l’immigratio­n.» Selon le professeur, les premiers arrivés pensent qu’ils étaient plus dignes d’être accueillis que les suivants. «Ces immigrants veulent fermer la frontière mais ils veulent aussi pouvoir faire venir leur famille», conclut-il, résumant toutes les contradict­ions du débat sur l’immigratio­n aux Etats-Unis.

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