Plongées dans les brumes du PAC Lavaux
Dix ans après la dernière votation populaire, le Grand Conseil se saisira, mardi, du plan d’affectation de la région, patrimoine mondial de l’Unesco. Dans une procédure inédite, à la complexité folle, s’affronteront défenseurs des vignerons et protecteurs
Lavaux, ses vignes en terrasse surplombant le Léman, parsemées de villages accrochés au coteau, face aux Alpes, c’est l’orgueil du Pays de Vaud. Depuis quelque temps, la seule évocation de ces paysages idylliques, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, provoque des soupirs chez bon nombre de députés vaudois. Mardi 5 mars, le Grand Conseil se saisira en effet du désormais fameux PAC Lavaux, PAC pour «plan d’affectation cantonal». Ce monstre politico-administratif est d’une complexité folle. Les 400 pages du rapport ont nécessité une cinquantaine d’heures de délibérations. Face à la difficulté de leur tâche, les membres de la commission concernée ont hésité par deux fois à tout arrêter et à renvoyer le projet au Conseil d’Etat.
Initiatives de Franz Weber
En prévision de ces débats qui pourraient durer plusieurs semaines, les députés ont exceptionnellement reçu une formation spécifique. Des mails ont été envoyés par les services du parlement aux médias pour expliquer la procédure qui sera appliquée. Elle est inédite, hors cadre institutionnel classique. «Celle-ci n’est clairement pas adaptée au processus parlementaire», regrette Rebecca Joly, la cheffe du groupe des Vert·e·s, faisant écho au sentiment de beaucoup de ses collègues.
Pour comprendre comment le canton a pu mettre en place un tel «sac de noeuds», pour reprendre le titre d’un éditorial du quotidien 24 heures, il est nécessaire de remonter dans l’histoire passionnelle de cette région. Elle commence le 4 février 1972. Appelé à l’aide par des opposants à un projet immobilier, l’écologiste bâlois Franz Weber fonde l’association Sauver Lavaux. L’année suivante, il lance sa première initiative qui aboutira en 1977 à l’inscription de la protection de ces vignobles dans la Constitution cantonale. Mais le bouillant militant ne désarmera jamais. Et, le 18 mai 2014, la population vaudoise est appelée à se prononcer sur une nouvelle initiative, «Sauver Lavaux III».
Récusations de députés
Le texte est jugé excessif par les autorités. Face à l’éventualité – réelle – d’un oui dans les urnes qui mettrait «sous cloche Lavaux», les communes concernées et le Conseil d’Etat, dont la majorité est passée à gauche deux ans auparavant, s’entendent sur un compromis politique. Ce dernier donne lieu à un contre-projet, finalement plébiscité à 68%. Il prévoit notamment que le plan cantonal se concentre sur les vignobles hors zones à bâtir communales, mais aussi que ce soit le Grand Conseil, et non pas le gouvernement, qui soit en charge du PAC et de ses procédures administratives, comme la levée des oppositions. Une première.
«Ce processus est certes très lourd mais, au final, le résultat sera meilleur que si on avait laissé l’établissement du PAC en mains de l’administration et du Conseil d’Etat», veut croire le député PLR Maurice Neyroud, aussi président de la Commission intercommunale de Lavaux. Grand connaisseur du dossier, le vigneron à Chardonne ne pourra néanmoins pas participer au débat. Faisant partie des opposants, il a dû se récuser. A la suite de deux avis de droit, il a en effet été décidé d’exclure les quelques élus ayant des intérêts privés dans l’affaire. Encore une première.
Pour les autres, ils se plongeront donc, dès mardi, dans les méandres du PAC, qui couvre 1283 hectares s’étirant de Lutry à Corsier-sur-Vevey. Les échanges promettent d’être polarisés. En commission, la majorité de droite a fait passer de justesse plusieurs amendements assouplissant les protections. Des points d’achoppement sont attendus comme l’obligation de cultiver uniquement de la vigne, la possible suppression de murs de pierres perpendiculaires pour faciliter le travail de la vigne ou encore l’agrandissement des capites, ces cabanes où les vignerons entreposent leur matériel.
«Nous devons trouver où mettre le curseur entre deux aspirations légitimes» ALBERTO MOCCHI, ANCIEN PRÉSIDENT DES VERT·E·S VAUDOIS·ES
Discussions en coulisses
A droite, on se montre rassurant. «La majorité n’a aucune volonté de bétonner Lavaux, on a depuis longtemps dépassé ce débat», relève Florence Gross, députée PLR, mais aussi déléguée du canton auprès de l’association Lavaux Patrimoine mondial. Aux yeux de l’habitante d’Epesses, il est primordial de permettre aux vignerons de poursuivre leurs activités, si l’on veut faire perdurer ces vignobles en terrasse et qu’ils demeurent un patrimoine vivant. Si elle reconnaît l’importance de soutenir ces derniers, l’écologiste Rebecca Joly rappelle de son côté qu’il ne faut pas perdre de vue «la responsabilité du Grand Conseil de protéger ce paysage inscrit au patrimoine mondial», selon la volonté exprimée par la population.
Pour son collègue de parti Alberto Mocchi, l’enjeu est simple à résumer. «Nous devons trouver où mettre le curseur entre deux aspirations légitimes, observe l’ancien président des Vert·e·s vaudois·es. Celle, productiviste, qui souhaite que les vignerons puissent conserver et moderniser leur outil de travail et celle, paysagère et environnementale, qui rappelle que nous ne sommes pas n’importe où et que Lavaux mérite une attention particulière.» A voir où les élus placeront ce curseur. Une partie se jouera peut-être en coulisses. Des discussions sont en effet menées ces derniers jours entre les chefs de groupe avec la volonté de trouver un compromis d’ici à mardi.
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