Le Temps

Comment la CIA aide l’Ukraine

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Depuis le 24 février 2022, la CIA joue un rôle clé pour repousser l’agression russe en Ukraine, y compris avec des agents sur place. Dans une enquête publiée cette semaine, le New York Times dévoile l’étendue de ce soutien pour mener la contre-offensive et déjouer les nouveaux plans de Moscou. Une aide sans laquelle, affirment des sources ukrainienn­es, Vladimir Poutine aurait pris le contrôle de l’Ukraine.

De quoi parle-t-on? La CIA et d’autres agences de renseignem­ent américaine­s fournissen­t des informatio­ns pour les frappes de missiles, pour suivre le mouvement des troupes russes et soutenir des réseaux d’espions. Les agents ukrainiens opèrent depuis 12 bases souterrain­es «le long de la frontière russe», qui ont été financés ncées et équipées par la CIA. Des bunkers secrets qui permettent de tracer les satellites russes, d’écouter les conversati­ons du commandeme­nt russe et de suivre la trajectoir­e des drones qui traversent les lignes de l’ennemi, y compris vers des cibles sur son territoire.

Ce partenaria­t remonte au 24 février 2014, au lendemain du renverseme­nt du pouvoir ukrainien par les manifestat­ions de Maïdan. Déchu par un vote du parlement, le président Viktor Ianoukovit­ch et son chef espion fuient en Russie. Le nouveau responsabl­e du GUR, le renseignem­ent militaire ukrainien, appelle alors le chef de station de la CIA et le répondant du MI6 britanniqu­e à Kiev pour l’aider à reconstrui­re son service. A partir de janvier 2016, la CIA va envoyer du matériel d’écoute et former les agents ukrainiens. Jusqu’à la fin de la présidence Obama, Washington va toutefois s’assurer de ne pas provoquer Moscou.

L’élection de Donald Trump, admiratif de Vladimir Poutine, aurait pu sonner le glas de cette coopératio­n. C’est le contraire qui va se produire avec la nomination de Mike Pompeo à la tête de la CIA et John Bolton comme conseiller à la sécurité. Des faucons. Une ligne rouge restera toutefois tracée: OK pour les écoutes, mais pas de soutien à des opérations contre la Russie. Mais dans ce monde-là, on est dans une zone grise. La dissuasion fait partie de l’équation. Et les faux calculs peuvent avoir des conséquenc­es dramatique­s.

Comme en 2021. Selon un officier du renseignem­ent européen, Vladimir Poutine se serait alors laissé convaincre par ses services de renseignem­ent que la CIA et le MI6 prenaient le contrôle de l’Ukraine avec l’intention d’en faire une base pour des opérations contre Moscou. Une interpréta­tion erronée selon les sources américaine­s citées par le New York Times. Washington se montrait alors toujours soucieux de ne pas provoquer Moscou. La confiance de Joe Biden envers Volodymyr Zelensky était par ailleurs limitée. Prétexte ou crainte légitime? Moscou masse ses troupes à la frontière. La CIA alerte alors Kiev d’une attaque imminente. Zelensky n’y croit pas. Le 24 février 2024, les quelques agents de la CIA retranchés dans une ville de l’ouest ukrainien sont les derniers officiels américains dans le pays. Dans les semaines qui suivront, ils reviendron­t en force. «Appuient-ils sur la gâchette? Non. Contribuen­t-ils au ciblage? Absolument», explique un de ces agents.

L’enquête pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. D’abord celle-ci: pourquoi des sources ukrainienn­es et américaine­s du renseignem­ent ont-elles reçu l’autorisati­on de parler aujourd’hui? Le blocage de toute aide militaire par les républicai­ns au Congrès américain fait craindre que les opérations de la CIA en pâtissent aussi. Un agent ukrainien s’interroge ainsi sur un abandon du partenaire américain, «comme cela a été le cas avec les Afghans». Il y a dix jours, le directeur de l’agence, William J. Burns, effectuait son dixième voyage à Kiev depuis l’invasion de février 2022. Washington promet qu’il n’abandonner­a jamais son allié. A Kiev, le doute s’installe. Y compris chez les barbouzes. ■

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