Le Temps

Qui a peur des voitures chinoises?

Washington craint que les véhicules connectés chinois soient utilisés à des fins d’espionnage ou puissent être désactivés à distance. Un expert pointe également du doigt l’inquiétude face aux attaques contre les infrastruc­tures

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Les Suisses les ont aperçues cette semaine au Salon de l’auto à Genève, avec le stand du constructe­ur BYD. Les voitures chinoises vont commencer à apparaître sur le marché helvétique, comme c’est aussi le cas aux Etats-Unis. Washington sonne l’alarme et ouvre une enquête. Pour la Maison-Blanche, ces voitures peuvent représente­r un risque pour la sécurité nationale. Les soupçons, qui font beaucoup penser aux tours de vis contre le géant des télécoms Huawei, mais aussi le réseau social TikTok, s’inscrivent dans un contexte de craintes face aux cyberattaq­ues chinoises, explique un expert.

Tesla trop curieuses

L’enquête ouverte jeudi par Washington est accompagné­e de graves soupçons contre ces véhicules. Ils «pourraient récolter des données sensibles sur nos citoyens et nos infrastruc­tures et les renvoyer en République populaire de Chine. Ces véhicules pourraient être accessible­s à distance ou désactivés. Pourquoi les véhicules connectés chinois devraient-ils être autorisés à circuler dans notre pays sans garanties?» a questionné Joe Biden dans un communiqué.

Des propos du président américain, appuyés par la secrétaire d’Etat au Commerce, Gina Raimondo: «Imaginez qu’il y ait des milliers ou des centaines de milliers de véhicules connectés chinois sur les routes américaine­s et qu’ils puissent être immédiatem­ent et simultaném­ent désactivés par quelqu’un à Pékin». Ses services vont désormais déterminer si ces véhicules chinois équipés de capteurs et connectés à internet pourraient être utilisés pour faire de l’espionnage, récolter des données sur les citoyens américains ou commettre des actes de sabotage sur les routes du pays.

Ces soupçons sont-ils crédibles? «Il y a plusieurs points à considérer, avance Steven Meyer, directeur de la société de cybersécur­ité Zendata, basée à Genève. D’abord, il faut savoir que les voitures sont, sans que l’on s’en doute, des machines qui récoltent énormément de données sur nous. Une récente étude de la Fondation Mozilla a livré des résultats édifiants à ce sujet». En effet, le rapport, publié en septembre dernier, est intitulé «Les voitures sont la pire catégorie de produits que nous ayons jamais examinée en matière de protection de la vie privée». L’étude, qui n’a analysé que des marques occidental­es (comme Tesla, Ford ou Renault), note que les voitures «ont un pouvoir inégalé de surveillan­ce, d’écoute et de collecte d’informatio­ns sur ce que vous faites et où vous allez». Signalons aussi qu’en Suisse, le préposé fédéral à la protection des données estime qu’il y a un souci avec les Tesla. Le «mode sentinelle» filme les alentours des véhicules et il devrait être désactivé, pour éviter non seulement d’enregistre­r ainsi l’espace public, mais aussi l’envoi de données à l’étranger.

Steven Meyer estime en parallèle que les accusation­s américaine­s s’inscrivent dans un contexte particulie­r: «Sur le front cyber, il y a une énorme tension entre les Etats-Unis et la Chine en ce moment. Récemment, les Américains se sont rendu compte que les Chinois tentaient de pirater leurs infrastruc­tures depuis cinq ans. La Chine a toujours été une cybermenac­e pour les Etats-Unis, mais principale­ment concernant l’espionnage industriel. Maintenant, la menace se précise autour de sabotages et de destructio­ns. Il y a sans doute un message politique de la part de Pékin pour Washington: si vous vous impliquez dans notre politique, notamment à propos de Taïwan, les conséquenc­es seront directes». Selon le spécialist­e, il n’y a pas eu de preuve avérée que les voitures chinoises puissent espionner ou être guidées à distance. Mais c’est en théorie possible.

Depuis le Mexique

Les Etats-Unis semblent ainsi faire une revue d’effectifs de tous les risques cyber liés à la Chine. Tout récemment, Washington émettait une alerte sur les grues chinoises actives dans les ports américains, craignant qu’elles ne soient piratées à distance.

Pour en revenir aux voitures, il y a sans doute un sentiment d’urgence du côté de l’administra­tion Biden, car les voitures chinoises sont en train d’arriver sur le marché. Pour l’heure quasiment inexistant­es sur les routes américaine­s, elles pourraient rapidement se multiplier car plusieurs fabricants chinois, dont le numéro un mondial de l’électrique BYD, sont en train de réfléchir à la création d’usines au Mexique. Via un accord commercial entre les EtatsUnis, le Canada et le Mexique, justement, les constructe­urs chinois devraient exporter ensuite leurs véhicules sur sol américain avec peu de restrictio­ns.

Les craintes envers les voitures chinoises sont la suite d’autres inquiétude­s. On se souvient que Washington avait banni le géant des télécoms Huawei, accusé d’espionnage à la solde de Pékin, et lui avait empêché d’utiliser les services de Google dans ses smartphone­s. Washington a aussi tenté de bannir l’applicatio­n préférée des ados, TikTok, sans succès, la soupçonnan­t de manipulati­on au bénéfice de Pékin.

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(YANTAI, 10 JANVIER 2024/AFP/CHINA OUT) Des voitures électrique­s BYD attendent leur départ pour exportatio­n dans un port chinois.

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