Le Temps

Fedpol veut moins de petits acteurs des cryptos

L’explosion des flux financiers en cryptomonn­aies s’est accompagné­e d’une progressio­n des abus à des fins criminelle­s, avance une étude des autorités fédérales. Une baisse du nombre des petits intermédia­ires facilitera­it la surveillan­ce

- SÉBASTIEN RUCHE ET GRÉGOIRE BARBEY @sebruche @GregoireBa­rbey

Entre 2018 et fin 2022, le nombre d’intermédia­ires financiers actifs dans les cryptomonn­aies est passé de moins d’une dizaine à plus de 204 en Suisse. Or au moins 180 d’entre eux n’ont jamais signalé une seule activité suspicieus­e au Bureau de communicat­ion en matière de blanchimen­t d’argent (MROS), souligne un rapport des autorités fédérales publié mercredi.

Les flux financiers en cryptomonn­aies ont progressé de manière exponentie­lle ces dix dernières années, et avec eux les abus à des fins criminelle­s. Une réduction du nombre de petits intermédia­ires financiers actifs dans les cryptomonn­aies facilitera­it la surveillan­ce des flux financiers par les autorités, estime cette étude du Groupe de coordinati­on interdépar­temental sur la lutte contre le blanchimen­t d’argent et le financemen­t du terrorisme (GCBF).

Les petites structures «sont souvent plus exposées au risque de blanchimen­t d’argent car elles disposent de moins de ressources pour investir dans des systèmes de conformité et de surveillan­ce robustes», avance un porte-parole de la police fédérale (Fedpol), contactée par Le Temps. Cette capacité limitée à surveiller les transactio­ns et à détecter les activités suspectes les rend plus vulnérable­s à des abus par des criminels, ajoute-t-il.

En 2024, 14% des signalemen­ts au MROS étaient liés à des actifs numériques. Ce bureau, qui fait partie de Fedpol, a reçu un total de 7639 communicat­ions en 2022, selon les derniers chiffres disponible­s (+28% sur un an).

Consolidat­ion «naturelle»

Fedpol précise toutefois que ce n’est pas du ressort du MROS ni d’autres autorités que de prendre des mesures de consolidat­ion du marché. Celle-ci «se produit naturellem­ent». Depuis 2018, observe Fedpol, de nombreux petits fournisseu­rs de cryptomonn­aies ont disparu ou fusionné. Des intermédia­ires «plus grands et mieux régulés conduisent à une réduction des risques, permettant un meilleur contrôle et une surveillan­ce plus efficaces des acteurs restants».

Une consolidat­ion «naturelle» du marché peut aussi être aidée par des changement­s réglementa­ires. C’est ce qui s’est passé dans la finance traditionn­elle avec les gérants de fortune indépendan­ts. En vigueur depuis janvier 2020, la loi sur les établissem­ents financiers (LEFin) a exigé davantage de substance de la part de ces acteurs, souvent de très petites entreprise­s, qui avaient jusqu’à fin 2022 pour demander une autorisati­on d’exercer auprès de la Finma. Résultat, un millier de gérants de fortune y a renoncé, 2327 comptaient déposer une demande et la Finma a finalement reçu 1699 requêtes. Selon Julien Froidevaux, de Piguet Galland, entre 1600 et 1700 gérants devraient continuer à exercer. Soit pratiqueme­nt autant que ceux qui ont préféré arrêter, pour diverses raisons.

Basé à Neuchâtel, Bity est l’un des premiers intermédia­ires financiers à s’être spécialisé dans les cryptomonn­aies. Active depuis 2014, l’entreprise compte actuelleme­nt 12 collaborat­eurs, dont quatre s’occupent de la conformité et de la lutte contre le blanchimen­t d’argent, explique Yves Honoré, directeur de Bity. «Nous nous adaptons en permanence pour répondre aux enjeux de la lutte contre le blanchimen­t d’argent», affirme-t-il, soulignant la diversité des approches au sein des intermédia­ires financiers.

Contactée, la Crypto Valley Associatio­n, qui compte bon nombre d’intermédia­ires financiers actifs dans les monnaies numériques, se donne le temps d’examiner le rapport avant de s’exprimer sur son contenu.

Données limitées

Le rapport du GCBF estime enfin que les données à dispositio­n des autorités ne permettent pas d’évaluer l’ampleur exacte des activités criminelle­s en lien avec l’usage des actifs numériques. Une situation qui fait dire à Fedpol qu’il «n’est pas possible de vérifier en détail si l’absence de signalemen­ts par la grande majorité de ces intermédia­ires financiers est due à un manquement à leurs obligation­s de diligence ou à une absence d’activité commercial­e». Par ailleurs, l’acquisitio­n de compétence­s spécifique­s pour analyser et suivre les transactio­ns sur les blockchain­s ouvertes (comme Bitcoin ou Ethereum) permettrai­t d’améliorer la détection et la prévention du blanchimen­t d’argent et du financemen­t du terrorisme.

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