Fedpol veut moins de petits acteurs des cryptos
L’explosion des flux financiers en cryptomonnaies s’est accompagnée d’une progression des abus à des fins criminelles, avance une étude des autorités fédérales. Une baisse du nombre des petits intermédiaires faciliterait la surveillance
Entre 2018 et fin 2022, le nombre d’intermédiaires financiers actifs dans les cryptomonnaies est passé de moins d’une dizaine à plus de 204 en Suisse. Or au moins 180 d’entre eux n’ont jamais signalé une seule activité suspicieuse au Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), souligne un rapport des autorités fédérales publié mercredi.
Les flux financiers en cryptomonnaies ont progressé de manière exponentielle ces dix dernières années, et avec eux les abus à des fins criminelles. Une réduction du nombre de petits intermédiaires financiers actifs dans les cryptomonnaies faciliterait la surveillance des flux financiers par les autorités, estime cette étude du Groupe de coordination interdépartemental sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF).
Les petites structures «sont souvent plus exposées au risque de blanchiment d’argent car elles disposent de moins de ressources pour investir dans des systèmes de conformité et de surveillance robustes», avance un porte-parole de la police fédérale (Fedpol), contactée par Le Temps. Cette capacité limitée à surveiller les transactions et à détecter les activités suspectes les rend plus vulnérables à des abus par des criminels, ajoute-t-il.
En 2024, 14% des signalements au MROS étaient liés à des actifs numériques. Ce bureau, qui fait partie de Fedpol, a reçu un total de 7639 communications en 2022, selon les derniers chiffres disponibles (+28% sur un an).
Consolidation «naturelle»
Fedpol précise toutefois que ce n’est pas du ressort du MROS ni d’autres autorités que de prendre des mesures de consolidation du marché. Celle-ci «se produit naturellement». Depuis 2018, observe Fedpol, de nombreux petits fournisseurs de cryptomonnaies ont disparu ou fusionné. Des intermédiaires «plus grands et mieux régulés conduisent à une réduction des risques, permettant un meilleur contrôle et une surveillance plus efficaces des acteurs restants».
Une consolidation «naturelle» du marché peut aussi être aidée par des changements réglementaires. C’est ce qui s’est passé dans la finance traditionnelle avec les gérants de fortune indépendants. En vigueur depuis janvier 2020, la loi sur les établissements financiers (LEFin) a exigé davantage de substance de la part de ces acteurs, souvent de très petites entreprises, qui avaient jusqu’à fin 2022 pour demander une autorisation d’exercer auprès de la Finma. Résultat, un millier de gérants de fortune y a renoncé, 2327 comptaient déposer une demande et la Finma a finalement reçu 1699 requêtes. Selon Julien Froidevaux, de Piguet Galland, entre 1600 et 1700 gérants devraient continuer à exercer. Soit pratiquement autant que ceux qui ont préféré arrêter, pour diverses raisons.
Basé à Neuchâtel, Bity est l’un des premiers intermédiaires financiers à s’être spécialisé dans les cryptomonnaies. Active depuis 2014, l’entreprise compte actuellement 12 collaborateurs, dont quatre s’occupent de la conformité et de la lutte contre le blanchiment d’argent, explique Yves Honoré, directeur de Bity. «Nous nous adaptons en permanence pour répondre aux enjeux de la lutte contre le blanchiment d’argent», affirme-t-il, soulignant la diversité des approches au sein des intermédiaires financiers.
Contactée, la Crypto Valley Association, qui compte bon nombre d’intermédiaires financiers actifs dans les monnaies numériques, se donne le temps d’examiner le rapport avant de s’exprimer sur son contenu.
Données limitées
Le rapport du GCBF estime enfin que les données à disposition des autorités ne permettent pas d’évaluer l’ampleur exacte des activités criminelles en lien avec l’usage des actifs numériques. Une situation qui fait dire à Fedpol qu’il «n’est pas possible de vérifier en détail si l’absence de signalements par la grande majorité de ces intermédiaires financiers est due à un manquement à leurs obligations de diligence ou à une absence d’activité commerciale». Par ailleurs, l’acquisition de compétences spécifiques pour analyser et suivre les transactions sur les blockchains ouvertes (comme Bitcoin ou Ethereum) permettrait d’améliorer la détection et la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme.
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