L’hiver prend un goût de printemps
L’hiver qui s’achève a été le moins froid jamais enregistré sur le territoire helvétique. La douceur et le manque de neige qui prévalent actuellement donnent un aperçu des conditions hivernales de demain, d’après MétéoSuisse
Crocus en fleurs, oiseaux qui gazouillent et doudounes superflues: un air de printemps flotte depuis quelques semaines en Suisse. Problème: c’est encore l’hiver! Avec le changement climatique, les saisons changent de visage. L’hiver actuel est le moins froid jamais enregistré depuis le début des mesures, en 1864, a fait savoir MétéoSuisse dans un post de blog. Si ces conditions paraissent aujourd’hui exceptionnelles, elles seront courantes à l’avenir.
Le mois de février 2024, en particulier, a été marqué par des températures très élevées, supérieures en moyenne de 4,6 °C par rapport à la norme de 1991 à 2020, a calculé l’institut météorologique. Qui a introduit cette nouvelle période de référence l’année passée, dans le but de faire face à l’accélération du réchauffement climatique. «La norme précédente, qui se référait à une époque plus ancienne, donnait systématiquement lieu à des records de température», explique Olivier Duding, de MétéoSuisse.
Le météorologue poursuit: «Les conditions de ce mois de février sont dignes de celles d’un mois de mars très doux.» Le réchauffement est très marqué dans certaines régions, notamment à Fribourg, où l’anomalie de température pour février atteint les 5,4 °C. A Genève, les situations d’inversion thermique du début du mois ont rendu le phénomène un peu moins sensible, avec «seulement» 3,9 °C excédentaires mesurés par rapport à la normale.
Des températures qui correspondent aux simulations
Les mois de janvier et de décembre avaient aussi été marqués par la douceur, faisant de l’hiver météorologique qui s’achève le plus chaud jamais mesuré en Suisse. Les températures ont été en moyenne de 2,8 °C plus élevées que durant les hivers de 1991 à 2020. Précisons ici que, pour les météorologues, l’hiver débute en décembre et se termine en février. Un hiver météorologique en décalage avec notre calendrier, basé sur l’hiver astronomique, mais qui permet de faire des calculs sur des mois entiers.
«Les températures de cet hiver peuvent surprendre, mais elles sont en accord avec ce qui est anticipé par les modélisations», souligne Olivier Duding. Selon les scénarios climatiques pour la Suisse publiés en 2018, les températures hivernales au milieu du siècle seront en moyenne plus élevées de 2 à 3,5 °C par rapport à la période 1981-2010, si aucune mesure n’est prise pour contrer le réchauffement.
Que penser du fait qu’un important écart de température soit observé cet hiver déjà? «Il s’agit pour l’instant seulement d’un événement ponctuel, relève le météorologue. Mais on se dirige clairement vers un futur où ces conditions deviendront courantes.» Et de rappeler que le réchauffement est deux fois plus rapide dans les régions alpines qu’au niveau mondial.
Sur l’enneigement, l’hiver actuel préfigure aussi ceux du futur. Relativement abondante en altitude, à la suite d’importantes précipitations, notamment au mois de décembre, la neige a été rare à basse et moyenne altitude, jusqu’à 1500 ou 1800 mètres. «Les modèles du climat prévoient des hivers légèrement plus humides à l’avenir mais, en raison de l’élévation des températures, les précipitations se feront plus souvent sous forme de pluie», indique Olivier Duding.
Vers un printemps chaud également
Le météorologue explique encore que les importantes précipitations de ces derniers mois pourraient être liées aux températures élevées enregistrées au-dessus de l’océan Atlantique. En effet, plus l’air est chaud, plus il peut transporter d’humidité, et la Suisse se trouve fréquemment sous l’influence de courants venus de l’ouest. Depuis l’an dernier, les températures de surface des océans atteignent des records, sans que les experts sachent vraiment pourquoi, même si l’actuel phénomène El Ninõ joue probablement un rôle, en tout cas dans certaines régions du Pacifique où il exerce un pouvoir réchauffant.
L’hiver «chaud» que nous venons de connaître est loin de constituer une exception au niveau mondial. Un grand nombre d’autres pays ont connu ces derniers mois des records de température, parfois assortis de sécheresse. Le mercure a frôlé les 30 °C à Valence en Espagne au mois de janvier, et en février c’est le Maroc qui a fait face à une vague de chaleur digne de la saison estivale.
Des températures exceptionnelles ont aussi été enregistrées en Amérique du Nord (notamment au Canada), en Asie (Japon, Vietnam…) et en Afrique (Nigeria, Kenya…). L’année 2024 débute donc sur les chapeaux de roues en termes de réchauffement, et cela un peu partout dans le monde, à l’exception de la région scandinave, qui connaît un hiver particulièrement rude.
Après que 2023 a été officiellement reconnue comme l’année la plus chaude jamais mesurée, avec une température globale supérieure d’environ 1,5 °C par rapport à la moyenne de la période préindustrielle, il se pourrait que 2024 tutoie de nouveau les records. D’après MétéoSuisse, il est en tout cas fort probable que les températures de ce printemps soient supérieures à la norme. ■