Se défendre contre les agressions quotidiennes
De même que notre corps combat les virus, notre esprit doit être capable de contrer les attaques mentales. Le psychiatre Christophe Massin donne les clés pour y parvenir
Votre conjoint vous parle mal. Votre patron vous met la pression. Vous vous faites bousculer dans la rue ou dans les transports en commun et vous êtes incapable de riposter à ces mauvais traitements. Si vous vous sentez encore débordé par le bal des infos et des intox, il y a de fortes chances que vous souffriez d'une immunité psychique défaillante. C'est-à-dire une incapacité à vous défendre contre les agressions de l'esprit, exactement comme lorsqu'un corps immunodéprimé ne parvient plus à se défendre contre les agressions virales.
En trente ans d'activité, le psychiatre Christophe Massin a rencontré beaucoup de profils concernés et qui souffraient doublement. Une fois de l'agression en tant que telle et une seconde fois «de ne pas savoir y répondre». Voilà pourquoi ce spécialiste de la médecine tibétaine vient de publier Savoir se défendre. L’immunité psychique, aux Editions Odile Jacob. Un ouvrage salutaire, dans lequel il explique les contours de cette immunodéficience avant de donner des clés pour la soigner.
Face à un voisin courroucé…
Dire stop. Affirmer sa position. Se sentir assez solide pour exiger le respect. Face à un voisin courroucé qui se plaint du bruit que font vos enfants alors qu'ils jouent tranquillement dans leur chambre, vous: contre-attaquez violemment/posez fermement les limites et lui demandez de changer de ton/ argumentez avec lui pour lui prouver qu'il exagère/tentez de le calmer, car vous n'aimez pas le conflit/commencez à vous excuser/ restez interdit face à la tornade/reconnaissez que vous élevez mal vos enfants/décidez de changer d'appartement.
Ne riez pas. Cette gradation de réactions, de la plus vive à la plus inhibée, n'est pas une invention. «En fonction de la confiance que vous vous accordez, vous manifestez un affaiblissement progressif de la défense immunitaire, d'abord excessive, puis juste, puis de moins en moins protectrice, jusqu'à ce qu'elle se retourne contre vous», détaille Christophe Massin.
Comment expliquer cette incapacité à se défendre? «Il peut s'agir d'une composante génétique, mais, le plus souvent, la raison tient à l'environnement dans lequel la personne a grandi», instruit le médecin. Soit cette personne a été directement agressée, enfant, et n'a pas su s'y opposer. Soit elle a connu un climat toxique, type plaintes incessantes des parents ou combats entre eux, et a développé «une passivité systématique de sorte à ne pas peser plus sur ce climat déjà lourd».
Prendre le risque de la perte
Il y a trois degrés d'immunodéficience psychique, poursuit Christophe Massin. L'affaiblissement des défenses immunitaires, qui donne peu ou pas de répondant aux personnes atteintes. Les défenses déréglées, exacerbées, propres à l'allergie. Là, les personnes surréagissent et se sentent oppressées face à toute forme d'autorité ou alors rejetées face à une simple neutralité de leur entourage. Enfin, la maladie auto-immune qui provoque un autosabordage permanent des individus.
Une fois le diagnostic posé, Christophe Massin passe aux outils permettant de se défendre. Et là, une phrase cruelle, mais juste, résume toutes les stratégies recensées par le médecin: «On ne peut se défendre qu'en osant le risque de la perte.» C'est-à-dire que, s'il veut le respect, l'immunodéficient doit accepter la possibilité de perdre la personne ou la situation qui l'agresse.
Cette désertion n'a pas forcément lieu, mais impossible de se dresser pour ses droits sans l'accepter comme une issue possible. C'est particulièrement le cas dans une relation de couple. Si la dynamique conjugale s'est construite sur un rapport de domination et de soumission, il y a fort à parier que l'insurrection de la personne «mobbée» signera la fin de la relation, explique le thérapeute.
Avant cela, l'immunodéficient doit déjà reconnaître de l'intérieur l'agression dont il est victime. Un processus compliqué, puisqu'il a tendance à enterrer ce qui l'affecte. Pour identifier la maltraitance, le «mobbé» peut inverser la situation qu'il vit et se demander: «Est-ce que moi, je mettrais l'autre dans cet inconfort? Est-ce que je lui parlerais ou j'agirais ainsi à son égard?» Le fait qu'il réponde «jamais» l'éclairera sur le traitement inique dont il est l'objet. Faites le test en pensant à des gens qui vous parlent mal. Vous verrez, c'est radical.
«Comme l’immunodéficient a grandi dans un climat sous tension, il a appris à dire oui et amen à tout, de sorte à ne pas peser»
Extrait de «Savoir se défendre. L’immunité psychique», de Christophe Massin (Ed. Odile Jacob)
Avant même cette inversion test, «le corps s'exprime», estime Christophe Massin. De la même manière «qu'un maraîcher a mal au dos à force de biner son jardin», un immunodéficient psychique est pris d'une réaction physique imparable quand il est agressé: il cherche à échapper à l'ennemi. Un couloir, une chambre, les toilettes, il repère tout ce qui fait abri et s'y replie.
Une fois que l'immunodéficient a reconnu son agression, il s'agit donc de riposter. Comment? Déjà, il faut réagir vite, si possible dans l'instant, «car, plus on attend, plus les dommages sont importants», note le psychiatre. Laisser s'éterniser une situation d'oppression risque aussi de susciter le phénomène d'allergie vu plus haut. S'il ne répond pas à une agression ciblée pendant longtemps, l'immunodéficient risque de devenir parano et de prendre toutes les paroles ou attitudes musclées comme une attaque.
Agir vite, donc. Ensuite, trouver des soutiens bienveillants qui accompagnent la riposte. Parler du problème avec des gens qui connaissent ou non l'agresseur ou la situation de crise permet de se donner du courage et de poser des éléments. Enfin, il faut s'en tenir aux faits. Si, par exemple, vous vous êtes fait accuser d'une erreur professionnelle commise par autrui, le mieux est d'identifier le vrai responsable et d'avancer son nom sereinement.
Lorsque la situation est plus ambiguë et relève de la perception de chacun, l'immunodéficient doit exprimer son inconfort à son agresseur sans redouter son irritation. S'entraîner à dire non fait aussi partie du chemin de guérison. «Comme l'immunodéficient a grandi dans un climat sous tension, il a appris à dire oui et amen à tout, de sorte à ne pas peser.»
Salutaire colère
Il peut se placer devant son miroir et «dire «non, je ne suis pas d'accord», de plus en plus fort», conseille le psychiatre. Pourquoi le miroir? Parce que le cerveau, organe très plastique, croit ce qu'il voit. Si le miroir lui renvoie régulièrement l'image d'une personne puissante et affirmée, qui se respecte, il finira par intégrer cette donne dans la programmation neuronale. Cette technique s'appelle «du renforcement» et, au-delà du ridicule de la situation – se parler à soi-même, quand même! –, a prouvé son efficacité.
Enfin, un dernier mot sur la colère, qui, dans le cas de l'immunodéficient, est salutaire. «C'est un feu intérieur, subit. Elle indique qu'une ligne de protection a été franchie, il faut l'écouter», encourage Christophe Massin. Pour appuyer son propos et conclure, le psychiatre raconte: «Dans l'iconographie bouddhiste, les rois gardiens ont la charge de préserver le sanctuaire de toute profanation. Leur large carrure, leur expression courroucée et les armes qu'ils portent ne laissent aucun doute sur leur détermination à ne tolérer aucun manque de respect. Voilà une image puissante qui peut servir de rappel à l'immunodéficient quand il vacille.»
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