Le Temps

«A Verbier, c’est dur de recruter des employés qui ne se droguent pas»

Le ski + la fête: c’est la recette de la «meilleure station de ski du monde 2022». Parmi les fêtards, il y a aussi les saisonnier­s, qui abusent d’alcool et de cocaïne, au risque d’y laisser leur peau

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Véronique* a grandi à Verbier. C'est naturellem­ent qu'elle a repris l'établissem­ent tenu depuis plusieurs génération­s par sa famille. Un bar, apprécié des saisonnier­s, dans lequel elle est aux premières loges pour constater l'augmentati­on de consommati­on d'alcool et de cocaïne dans la station valaisanne, depuis dix ans. «A Verbier, la coke, ça y va au canon à neige», sourit un de ses clients.

«Il y en a qui font très bien leur boulot et qui sont là pour gagner de l'argent, observet-elle. Mais beaucoup viennent juste pour se démonter la gueule tous les soirs.» Elle estime que son personnel, cette année, tient la route. «Mais l'année dernière, j'avais un barman qui, quand il venait, n'avait pas dormi depuis deux jours…»

Rompant avec les habitudes informelle­s du milieu, certains patrons ont ainsi commencé à faire des recherches approfondi­es sur les candidats, en appelant par exemple leur employeur précédent. Des précaution­s que font parfois dérailler les difficulté­s à se loger dans la station: certains patrons se contentent de «recruter tous ceux qui sont déjà logés», regrette Véronique.

Appartemen­ts saccagés

Le logement des saisonnier­s, grand sujet à Verbier. «Ils sont hyper-irrespectu­eux. J'ai découvert certains appartemen­ts dans un état… Les matelas étaient bons à être jetés, les canapés, la vaisselle et la cuisinière fracassés… Ils détruisent tout», se désole ce patron qui cherche chaque année des logements pour ses employés, afin qu'ils ne soient pas contraints d'opter pour des vans ou des abris antiatomiq­ues. «Je suis obligé de louer à mon nom et d'avancer deux mois de loyer pour loger mon personnel.»

Inacceptab­le, juge Véronique, pour des gens âgés de plus de 30 ans, logés et nourris. «Ils ne se rendent pas compte de leur chance. Pour un petit appartemen­t de 30 m², c'est 19 000 francs suisses la saison, soit 2300 francs par tête et par mois. Pourtant, ils s'en fichent, ils sortent tous les soirs, sont toujours dans l'excès et, souvent, ils n'arrivent pas à assurer le travail le lendemain.» Est-il envisageab­le de les loger en dehors de la station? Comme le font remarquer plusieurs patrons de celle-ci, rouler 40 minutes après la fin d'un shift à 2h du matin, ça ne fait pas envie aux travailleu­rs. Et c'est dangereux.

«Une trace, pour travailler»

Car, comme de nombreuses stations suisses, Verbier n'est pas épargnée par la banalisati­on de l'usage de drogues dures. «Ça devient compliqué de recruter des employés qui ne se droguent pas, lâche Véronique. Ici, tu trouves plus facilement un gramme de coke qu'une tête de weed.» Pendant ses jours de congé, elle retrouve des amis de la station, autochtone­s ou saisonnier­s, et ne s'étonne plus de voir tout le monde tirer un rail de coke en soirée. «Dans certains afters, il y a même des gars qui te disent: «Allez, une petite trace, faut que je parte au boulot là!» Et ils filent bosser, c'est normal pour eux…»

L'hiver dernier, elle a même surpris un de ses employés en train de sniffer de la cocaïne à l'arrière de son bar. Agé de 43 ans, l'employé en question s'est à peine excusé.

Si Véronique a mis en place une tolérance zéro, ce n'est pas le cas de tous les établissem­ents de Verbier. «Il y a pas mal de bars et de restaurant­s où tout le personnel tape [tire une ligne] dans la cuisine. Le patron paye des traces à ses employés! Et tout le monde est content, parce qu'ils sont tous dans ce monde-là.»

Même si la communauté des saisonnier­s est, à première vue, moins soudée dans les stations suisses que dans les stations françaises, notamment parce que les Suisses restent entre eux et que les autres sont de provenance­s variées, entre la France, l'Italie, l'Espagne et les pays de l'Est, ils se retrouvent régulièrem­ent après leur journée de travail autour d'un verre.

Attirés par les salaires suisses, certains saisonnier­s repartent ruinés en fin de saison. Le gramme de coke est vendu entre 100 et 120 francs. Pourtant, certains en consomment près d'un gramme par soirée. «C'est un budget colossal!, s'étonne Véronique. Mais ils sont contents, car ils se sont démontés.»

Cercle vicieux

Verbier, «meilleure station de ski du monde 2022», en attire du monde. Les 3000 habitants à l'année voient débarquer des dizaines de milliers de touristes chaque hiver: les statistiqu­es officielle­s font état de 170 000 nuitées hivernales en hôtellerie et parahôtell­erie – Genevois, Vaudois, Français, Belges, Britanniqu­es, Scandinave­s, Américains, Chinois et beaucoup d'autres. Le ski est bien sûr le moteur de ce succès, mais l'ambiance festive y contribue pour beaucoup. Avec aussi des désagrémen­ts.

«Je gère une ou deux petites bagarres par an dans mon bar. Tous les problèmes qu'il y a dans les clubs à Verbier, c'est parce que les gens sont cokés à balle», déplore Véronique. Un autre patron, qui a souhaité rester anonyme, confirme: «Les gens picolent. Une fois qu'ils ont pris leur trace de coke, l'alcool redescend. Ils en ont tout autant dans le sang mais ils ne s'en rendent plus compte. Donc ils picolent à nouveau, des quantités encore plus importante­s. C'est comme ça que ça peut partir en vrille.»

Aucune solution en vue

Chaque année, les propriétai­res des bars et des clubs de la station se réunissent pour faire remonter aux autorités de la commune du val de Bagnes les problémati­ques rencontrée­s pendant la saison. Tous les patrons sont sensibles à cette banalisati­on de la drogue, sans pour autant trouver des solutions ou mettre en place des plans de sécurité. «L'année dernière, il y a eu trois ou quatre viols dans des clubs à Verbier, à la suite de GHB mis dans les verres. On a parlé de mettre des capuchons sur les boissons, mais personne ne l'applique, constate Véronique. Il y a zéro contrôle, pas de directives. On dirait que personne n'en a rien à faire.»

Que fait la police? Elle semble consciente du problème. Le 26 janvier 2024, des agents, flanqués de chiens, ont fait une descente et contrôlé une centaine de personnes. Il n'y a eu que quatre arrestatio­ns et la saisie de différente­s quantités de drogue, principale­ment du haschisch et de la cocaïne. Dans son communiqué de presse, la police valaisanne annonce que la lutte contre les stupéfiant­s est devenue «l'une de ses priorités», avec «d'autres actions de ce type dans tout le canton», prévues tout au long de l'année. R. M.

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