Le Temps

Un non clair et net à la retraite à 66 ans

L’initiative des Jeunes libéraux-radicaux ne trouve pas grâce auprès de la population. A 74,7%, les citoyens refusent sèchement la hausse de l’âge de la retraite, et donnent peut-être un signal clair aux velléités de durcisseme­nt

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

XTravaille­r plus longtemps pour gagner la même chose? Les Suissesses et les Suisses ne veulent rien en savoir. Leur non a claqué dans les urnes ce dimanche. Par 74,7% contre 25,3%, ils balaient l’initiative sur les rentes des Jeunes libéraux-radicaux, qui proposaien­t de coupler l’âge de la retraite avec l’espérance de vie au moyen d’un automatism­e mathématiq­ue, et par conséquent de relever le seuil à 66 ans à l’horizon 2033, puis à 67 ans vers 2043. Au final, la sortie de la vie active demeure bien fixée à 65 ans.

Perdants du jour, les Jeunes libéraux-radicaux désiraient renflouer l’assurance-vieillesse et survivants (AVS). Le nombre de retraités s’accroît fortement, ainsi que leur durée de vie moyenne. Le système de retraites doit payer toujours plus de gens, plus longtemps. Les projection­s de la Confédérat­ion prédisent des déficits à partir de 2030, avec des dépenses excédant les recettes. Relever l’âge de la retraite à 66 ans aurait fourni quelque 2 milliards de francs de plus par année. Un joli pactole… insuffisan­t toutefois pour combler le trou.

«Briser la glace»

Tous les cantons ont coulé l’initiative. Aucun fossé ne se dessine entre les régions linguistiq­ues, même si les cantons latins ont dans l’ensemble été plus tranchants que les Alémanique­s. La participat­ion, élevée, atteint 58,1%.

A chaud, la responsabl­e romande de l’initiative, Anna Ludwig, se félicite que les siens aient «brisé la glace» en s’attaquant à un «tabou», mais se dit évidemment «déçue». «Actuelleme­nt, beaucoup de personnes n’ont peut-être plus envie d’entendre de mauvaises nouvelles. On a trouvé l’argent pour le covid, puis pour Credit Suisse, alors pourquoi pas pour l’AVS: je peux entendre ce discours, mais les proportion­s pour l’AVS sont énormes; ce sont des dizaines de milliards dans les vingt prochaines années. Il faudra trouver cet argent. A l’avenir, pour assurer le financemen­t de l’AVS, il faudra choisir entre baisser les rentes, travailler plus longtemps ou augmenter les prélèvemen­ts.»

Sans appel, le résultat devrait théoriquem­ent faire l’effet d’un coup de semonce auprès des milieux favorables au prolongeme­nt forcé de la vie active – en deux mots, le camp bourgeois. Il semble plaider en faveur d’idées moins rigides pour équilibrer les caisses de l’AVS.

Mais de là à abandonner toute velléité de hausse de l’âge de la retraite, il y a un pas que des élus bourgeois ne veulent pas franchir. A commencer par le sénateur du Centre, Erich Ettlin (OW). «La 13e rente change la donne, et doit amener le Conseil fédéral à aborder rapidement ce point, pour des raisons évidentes de financemen­t», estime-t-il. L’Obwaldien était opposé à l’initiative des Jeunes libéraux-radicaux (JLR). «L’idée est bonne, mais le moment choisi était mauvais. Nous venons de voter sur le passage de 64 à 65 ans pour les femmes, et nous avions promis d’attendre le projet de réforme du Conseil fédéral en 2026 avant d’aller plus loin.»

Idée pas totalement abandonnée

«La droite s’acharne à vouloir augmenter l’âge de la retraite depuis vingt ans» LÉONORE PORCHET, CONSEILLÈR­E NATIONALE VERTE (VD)

Chez les vert’libéraux, la conseillèr­e nationale Melanie Mettler (BE) affirme que «le débat a plutôt porté sur l’obligation automatiqu­e, et pas sur le relèvement en soi de l’âge de la retraite». La Bernoise appelle à des réformes incitative­s. «Aujourd’hui, cela ne vaut pas la peine de travailler au-delà de 65 ans. Pourtant, de nombreuses personnes aimeraient plus de flexibilit­é. Et beaucoup d’employeurs doivent comprendre qu’il faut maintenir en emploi les plus âgés.»

A gauche, les vues du camp bourgeois provoquent une réelle irritation. «Le message de la population est plus que clair. Certains à droite disent que le non porte seulement sur l’automatism­e de la retraite à 66 ans, alors que dans la rue, c’est le contraire qu’on entend: la hausse de l’âge de la retraite est nettement refusée», décoche Léonore Porchet, conseillèr­e nationale verte (VD). «La droite s’acharne à vouloir augmenter l’âge de la retraite depuis vingt ans, et profite de la moindre excuse pour le faire. Mais nous sommes prêts à retourner devant la population pour défendre les prestation­s sociales.»

Le Conseil fédéral devra aussi proposer des options de financemen­t. Pour la ministre des Assurances sociales, Elisabeth Baume-Schneider, le refus sec de l’initiative des Jeunes libéraux-radicaux montre qu’«augmenter l’âge de la retraite n’est pas souhaité pour résoudre les problèmes». Elle soumettra des pistes à ses collègues du gouverneme­nt prochainem­ent.

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